Au-delà de Cancerland
Toujours émouvant de parler du dernier roman d'un écrivain disparu depuis peu.
Pour ceux qui ont suivi l'oeuvre de ce grand écrivain c'est une perte immense mais contrairement au commun des mortels son oeuvre subsiste et
Paul Auster, par elle, sera vivant dans le coeur de ses lecteurs. Une oeuvre où chacun peut le retrouver à chaque page.
Ce dernier roman est petit par la taille immense par la profondeur qui s'en dégage.
Sy
Baumgartner vit seul à Poe Road, il a 70 ans et est veuf depuis 10 ans.
C'est le premier jour de printemps et la journée s'annonce mal, il écrit un essai et il est ailleurs comme souvent. Il a laisser le cuiseur à oeufs sur le feu, quand il s'en aperçoit c'est trop tard et se brûle la main.
Il sait qu'il doit téléphoner à sa soeur, tâche qu'il retarde toujours, on sonne à sa porte c'est Molly la gentille dame d'UPS qui lui apporte un livre.
Livre qui ira rejoindre la pile qui s'élève dangereusement dans un coin en attendant qu'il trie le tout pour en faire don à la bibliothèque. le téléphone sonne c'est le préposé au relevé du compteur qui annonce qu'il passera en retard…
Depuis la mort de sa femme, les journées de Sy sont faites de petits riens qui prennent beaucoup de place, il voudrait seulement écrire et penser à celle qui lui manque tellement.
Puis il y a la chute qui va le plonger dans un état de fragilité où seule sa mémoire aura de l'importance. Les souvenirs remontent à la surface. le lecteur va découvrir ce que fut la vie de Sy et Anna.
Anna est parfaitement vivante dans cette réminiscence, ce ne sont pas des divagations mais bel et bien une vie qui renait pour le plus grand bonheur de Sy.
« Vivre, c'est éprouver de la douleur, se dit-il, et vivre dans la peur de la douleur, c'est refuser de vivre. »
Il va plonger littéralement dans les écrits d'Anna et se donner pour mission de les faire publier. Ainsi
Paul Auster dessine un portrait amoureux de cette femme qui pour lui a été exemplaire. Sa mort n'a été que la résultante de la façon dont elle a vécu, toujours oser braver le danger, ne pas se conformer, bien sûr pour celui qui reste seul c'est difficile mais il a respecté jusqu'au bout la personnalité de son aimée.
Les passages sur Anna sont très forts et lumineux et le lecteur ne peut que faire le lien avec
Siri Hustvedt femme admirée et dont il reconnaissait la supériorité artistique.
Sentiments et admiration subsistent jusque dans l'au-delà.
Je l'ai lu comme l'ultime déclaration d'amour à sa femme d'un homme qui sait que son temps est compté.
La construction est tortueuse comme la mémoire mais le dessin se peaufine au fil de la lecture pour donner un récit lumineux, fort dans sa densité.
Il dit aussi que les gens qui vieillissent ne sont pas sans intérêt, ils ne sont pas que des enveloppes vieillissantes et ratatinées, ils ont un vécu, ils sont vivants jusqu'au bout.
Bien évidemment dans le personnage de Sy on y retrouve Paul et l'espièglerie est de faire que dans ce couple c'est l'homme qui est vivant et la femme morte.
Une façon de terminer en beauté en écrivant une ultime déclaration d'amour.
Les première pages sont d'une beauté absolue car elles décrivent à la perfection le délitement du quotidien, en vieillissant n'a-t-on pas envie de se consacrer à l'essentiel plutôt que de perdre son temps dans les petites tâches quotidiennes sans intérêt et chronophages ?
Paul Auster nous offre un dernier livre empli de force, de lumière et de vitalité.
Merci Monsieur.
©Chantal Lafon
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