Troisième roman de
Silvia Avallone, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire ici qu'elle était à mes yeux la relève littéraire d'un Pratolini, d'un
Pasolini, d'un
Moravia, voire en remontant plus loin dans le temps d'un Verga.
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D'acier - et -
Marina Bellezza - s'inscrivaient dans la veine d'un néo-réalisme, lucide, sans concessions, obstiné.
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La vie parfaite -, titre quasi sarcastique, poursuit avec force et brio le sillon creusé par une écrivaine prodige à la limite du "militantisme" politique.
Car il n'a échappé, je veux le croire, à personne que
Silvia Avallone nous dresse dans ses trois romans le tableau d'une Italie rongée, minée par le capitalisme dérégulé, la mondialisation, une société déboussolée dans laquelle chacun vit selon les aiguilles d'une boussole qui oriente vers de multiples nord qui les mènent tous n'importe où mais jamais vers aucun pôle.
Une Italie gangrenée par les déterminismes sociaux implacables, qui a laissé derrière elle, et c'est heureux, ses "années de plomb", pour se laisser séduire par les paillettes du berlusconisme et les appels des sirènes mafieuses.
Comme dans ses deux premiers romans, -
La vie parfaite - offre la part belle aux femmes.
Non pas en tant que représentantes d'une société qui aurait exaucé les revendications féministes, mais en tant qu'héroïnes positives de ses romans.
Ainsi, avec
Aragon, S.A "déclare" face à sa génération que la femme est l'avenir de l'homme.
Les deux protagonistes, les deux faces d'une même médaille, sont, dans ce roman, deux femmes.
Adele jeune fille de dix-sept ans, scolarisée à l'école buissonnière, vit dans la périphérie miséreuse de Bologne.
Aux Lombriconi, deux mégas tours alvéolées de milliers de logements sociaux, petites cages dans lesquelles s'emprisonnent des vies qui subsistent le plus souvent grâce à des aises sociales, des petits boulots et de multiples trafics.
Son père est en prison.
Sa mère fait ce qu'elle peut.
Dora est professeur de lettres classiques.
Elle vit confortablement dans le centre de Bologne dans un appartement coquet, qu'elle partage avec Fabio, son époux architecte.
Rien à voir a priori entre ces deux femmes.
Détrompez-vous... Adele est la petite amie de Manu, beau garçon brillant de son âge, qui a mal tourné.
Il a mis Adele enceinte.
Adele va devoir affronter seule les neuf mois du parcours d'une combattante parturiente mineure.
Dora, elle, ne peut pas avoir d'enfants.
Elle a eu recours à tous les recours.
Rien n'y a fait... mais elle s'entête.
C'est donc autour du thème de la maternité que va s'écrire l'histoire de ces deux femmes et s'inscrire l'histoire puzzle de ce roman.
Car entre Adele future mère célibataire contrainte d'abandonner son enfant à la naissance et Dora qui se bat pour l'adoption, vont graviter, comme les pièces d'un puzzle, des personnages qui, tous, sont liés ou reliés les uns aux autres, ce qui permettra à la fin de l'histoire, une fois le puzzle reconstitué, de voir apparaître, sous les yeux du lecteur étonné ( ce fut mon cas ) une fresque, un grand tableau "régional", allégorique d'une certaine Italie d'aujourd'hui.
Les neufs mois de grossesse d'Adele... entre la fécondation et l'accouchement, sont décrits par l'auteure avec une vérité, une authenticité, une force inouïes et un talent qui l'est tout autant.
La lutte acharnée de Dora pour obtenir ce qui n'a été pour Adele que le fruit d'un accident est là aussi à couper le souffle.
Et naturellement, les déterminismes sociaux auxquels certain(e)s essaient d'échapper avec leurs corollaires psychologiques, leurs affects, leurs échecs, leurs drames, ne sont pas en reste.
L'existentiel, le social, le sociologique, l'économique et le culturel occupent une place centrale que
Silvia Avallone, depuis -
D'acier - maîtrise du bout des doigts de son clavier avec un art consommé et une maestria d'orfèvre.
La grande force de cette écrivaine, c'est d'éviter les écueils du mélodrame et du pathos des soaps-opéras pour nous montrer que si la vie est, pour beaucoup, un drame, on peut de temps en temps consentir à faire la fête sous ces ténébreux orages.
Le style est au scalpel. Beau, juste et précis.
Mais la grande force de
Silvia Avallone, c'est l'épaisseur incroyable qu'elle réussit à donner à ses personnages.
Aucun n'échappe au fusain magique de cette portraitiste hors pair.
Je note sur la pointe des pieds que la chute aussi réussie que - presque - inattendue...
Un troisième roman qui m'a, comme les deux qui l'ont précédé, emballé.
La sortie du quatrième est prévue dans le courant du mois d'août... vivement !