Au volant de son Alfa Roméo Gran Turismo rouge volée, avec sa mine toujours impeccable, ses chemises Dolce & Gabbana sans faux plis, sa peau rasée de près, Piero est un vrai mâle à l'italienne. Piero est orgueilleux. Et quand il a un flingue entre les mains, qu'il braque une poste ou un restoroute, qu'il cambriole un appartement ou qu'il crochète une serrure, dans ces moments-là si intenses où le temps devient compact, Piero, en plus d'être un vrai mâle, se sent l'âme d'un lynx. Voler, c'est ce qui le fait vibrer, c'est ce qui le fait se sentir vivant, c'est ce qui lui fait oublier sa vie de merde.
A la compagnie de sa femme Maria, tout imprégnée de religiosité et de broderies aux points de croix, enlaidie par l'apathie et la résignation d'un mariage sans enfant, il préfère la fréquentation de la nuit, des parkings d'autoroutes et de ses camions garés en épis.
Une nuit, alors qu'il s'apprête à braquer la caissière d'un restoroute, il tombe sur un jeune paumé plein de piercing, sale, négligé, l'air perdu.
Mais quel est ce trouble subit qui envahit Piero ?
A bientôt quarante ans, pour la première fois de sa vie, face à Andrea, à son regard de glace, à son sourire diabolique, à sa gueule en morceaux si singulièrement belle, Piero se sent démuni, un type comme les autres, un pauvre con, avec un coeur tout mou qui dégouline.
Andrea et son insolence d'ado paumé, sa provocation, ses silences, ses questions qui jaillissent, brutales, comme seules les posent les enfants, « Pourquoi tu voles ? », « Quand est-ce que t'as demandé à ta femme de t'épouser? » « Mais toi, comment t'étais petit ? »…
Parce que lui aussi a hérité « d'une vie mal fichue, avec un trou marqué 1983 » du jour du départ de son père, parce qu'Andrea est beau comme une fille, parce qu'il pourrait avoir l'âge du fils qu'il n'a jamais eu, parce que c'est la plus belle chose qui lui soit jamais arrivé, cette rencontre au coeur « d'une de ces nuits lourdes comme du pétrole flottant sur la lande silencieuse » du Piémont, va bouleverser en profondeur l'existence de Piero, macho sûr de lui, voleur au coeur de lynx…
Silvia Avallone, arrive à faire naître un joli élan de tendresse de ce tout petit texte concis et allusif dans lequel se révèlent les failles et les fêlures de deux êtres meurtris et désarmés dans une Italie ouvrière où « si t'es pas dans les bons réseaux, tu peux rien faire ».
Et c'est un plaisir d'assister au bouleversement intérieur de l'homme viril, à l'assurance mâle qu'est Piero ; de voir ce macho orgueilleux mais quand même sympathique fondre devant un jeune garçon androgyne à la beauté troublante.
Si la romancière italienne fait ressortir la fragilité de Piero avec un brin d'insolence et de cynisme, elle le fait cependant avec beaucoup de tact et de subtilité. Tout en portant un coup d'estoc à la virilité machiste qui domine en Italie, elle ne veut ou n'ose dépasser les limites de la bienséance et de la pudeur ; le texte, tout en finesse et suggestion, n'en est que plus touchant.
La brume qui nimbe la relation des deux hommes, en ne se levant jamais complètement entre affection paternelle, rapport fraternel et sentiment amoureux, auréole le récit d'un voile tendre et pudique, très attendrissant.
La romancière campe ses personnages dans la campagne éteinte de l'Italie des centres commerciaux et des postes à essence, synthétise les émois et les troubles, renverse les clichés et casse les images, tout ceci en peu de pages, dans une langue juste, vivace, aiguisée, même si au terme de la lecture, le format court de la nouvelle nous laisse un léger goût de trop peu.
Il n'empêche que tout est dit et bien dit et que ce bref récit augure déjà des qualités et des prouesses dont fera montre la jeune italienne dans son roman «
D'acier ».