L'Islam et la Raison, précédée de 'Pour Averroès'

Je ne vais pas ici commenter le texte d'Alain de Liberia qui fait tout à fait son travail.
Je vais me contenter d'exposer un avis général des textes choisis dans cette anthologie. Globalement, Averroès comprend bien ce qu'il utilise, commente ou critique. Cependant, malgré quelques bons arguments, on trouve beaucoup d'arguments faibles ou expéditifs. Je vais citer deux exemples.

Premier exemple : En reprenant la forme donnée par Liberia, Averroès défend le raisonnement suivant pour réfuter les ash'arites :
La volonté est antérieure à l'acte x. Soit V le contenu de base de cette volonté.
Soit p1 : x se produira à t
Soit p2 : x ne se produira pas à t1, t2,…, tn.
Si p1 : alors V contient la décision Vt de x. Mais Vt est adventice puisque Vt n'existe pas en V avant t
Donc V est adventice en t, alors que V est la volonté prééternelle. Il y a là contradiction.
Si p2 : V ne veut pas x, V veut x à t
V n'est donc pas Vt. Vt s'ajoute donc à V et est adventice. Contradiction.
Dans la théorie de la création ex novo, il y a la possibilité que l'adventeur connaisse à t des choses adventices au moment où elles se produisent. Mais c'est là contradictoire.
>Dans ce raisonnement, la contradiction n'apparaît dans p1 que si l'on considère que la décision Vt est du même ordre que la volonté d'où elle procède. En outre, que Vt soit adventice ne veut pas dire que V en tant que tout est adventice en t, mais seulement qu'un mode de V est adventice. Ainsi, contrairement à ce que pense Averroès, la thèse de la contingence n'est pas réfutée. Quant à p2, il n'y a pas de contradiction.

Deuxième exemple :
Averroès attaque de la thèse d'Ibn Sina qui consiste à distinguer le contingent eu égard à son agent et le contingent eu égard à soi-même (bien que nécessaire par rapport à son agent).
>Mais la critique est bien pauvre, d'ailleurs peu argumentée. Averroès considère que ce qui est possible par soi ne saurait devenir nécessaire par son agent à moins de transformer le possible en nécessaire. C'est totalement faux, car ce n'est pas en tant que tel dans son essence qu'il devient nécessaire, c'est plutôt en tant qu'il est objet du monde : il est possible que tel objet soit nécessaire à partir d'une prémisse, mais il n'est pas nécessaire qu'il soit avec cette prémisse ou qu'il soit tout court si on le considère comme tel (implication n'est pas équivalence). Il ne comprend d'ailleurs pas qu'il est possible d'opérer une suppression artificielle (abstraction) de l'agent (il ne peut pas ne pas exister, donc le nécessaire par rapport à lui l'est absolument ! Mais c'est superficiel, car ce n'est pas en vertu de son essence mais en vertu de son orientation que c'est nécessaire : supprimer l'agent, c'est simplement montrer qu'il est nécessaire pour impliquer ses nécessités, comme faire abstraction de la Terre pour montrer la gravité est envisageable bien qu'il est impossible de supprimer la Terre et considérer dans le même temps l'existence des objets terrestres dans leur localisation)

Cela ne remet pas en cause la qualité d'autres arguments. On peut citer l'exemple suivant : L'ordre d'exposition des huit attributs de Dieu est important. Pour Averroès, la puissance n'est plus la première, mais c'est la science. Car la science est consécutive de l'être. Or celui-ci est en tantôt puissance et tantôt en acte. La science est donc différente à chaque fois. La science ne peut donc avoir lieu au moment où les choses se produisent, car cela demanderait une science une entre l'existence et la non-existence.

Enfin, on appréciera la défense de la philosophie d'Averroès, mais je préfère celle de Saint Thomas d'Aquin : Thomas affirme certes que la philosophie est servante de la théologie, mais il conserve son autonomie, tandis qu'Averroès, trop soucieux de faire une philosophie rigoureuse appelée par le Livre, risque fort bien, malgré sa critique des théologiens, d'en perdre l'autonomie.