Bérénice a le coeur brisé, elle est dévastée : Titus vient de la quitter parce qu'il ne peut se résoudre à en quitter une autre. Roma, sa femme. Qu'il dit pourtant ne plus aimer.
Roma. La mère de ses enfants. On ne quitte pas la mère de ses enfants.
C'est une histoire tellement banale que celle de Titus et Bérénice.
Elle a tellement mal, elle voudrait mourir, là, comme une héroïne de roman ou mieux encore de tragédie. Elle aurait dû se douter pourtant qu'un Titus et qu'une Bérénice ne pouvaient pas vivre heureux et s'aimer toujours.
Il est des passions qui meurent avant l'incendie et qui ne laissent exsangue qu'une moitié de ceux qui ne faisaient pourtant qu'un.
Pour conjurer son chagrin, et parce qu'au détour de son chemin, un vers la happe soudain et tinte à son oreille et à son coeur, la jeune femme se plonge dans les textes de Racine. Peut-être que les mots, et les vers du créateur de Phèdre, d'Andromaque, d'Iphigénie et de Bérénice ont le pouvoir de consoler, de guérir d'un chagrin d'amour…
Pour dominer sa peine, Bérénice se lance ainsi à la recherche de Racine, pour tenter de comprendre comment ce grand ordonnateur des passions amoureuses a su si bien en dire toutes les nuances, toutes les brûlures, tous les éclats. A-t-il aimé ? A-t-il souffert ? Faut-il avoir vécu pour dire et raconter ? Qui se cachait vraiment derrière la figure austère du dramaturge de Port-Royal ?
Le cheminement de la jeune femme, pour qui l'oeuvre de Racine revêt une dimension cathartique, constitue alors pour Nathalie Azoulay le prétexte pour nous offrir une biographie romancée de l'auteur.
De l'enfance grise et orpheline, sous la férule d'une tante inaccessible aux années de formation à Port Royal, de l'ivresse des premiers succès aux fastes de la cour du roi soleil, de la maturité au crépuscule, entre l'amour de dieu et celui des comédiennes, l'homme devient sous la plume de l'auteur un personnage riche et complexe, émouvant et presque fragile parfois. On devine les contours et les tourments du jeune pensionnaire à qui on enseignait l'amour sacré de dieu et qui découvrait les auteurs classiques ainsi que d'autres artistes tous ayant pour point commun d'exalter les passions humaines, subversives, le désir et parfois la lascivité... On distingue le courtisan soucieux de plaire aux grands de ce monde et d'évincer ses concurrents. On mesure enfin la douleur d'être tiraillé -le dilemme est cornélien- entre le monde et Port Royal. le Racine que découvre Bérénice est un homme complexe, humain qui dévoile par petites touches les ambiguïtés dont il était pétri, les sentiments qui le faisaient vaciller et qui l'ont sans doute conduit à sublimer l'amour qu'il éprouvait pour les femmes, à l'ériger en passion divine et forcement douloureuse. Comme doit l'être l'amour de dieu.
Au terme du voyage, ce Racine que je trouvais si froid au lycée et qui me glaçai, se révèle. Quant à Bérénice, elle y trouvera la paix et peut-être aussi la vérité. Après tout,
Titus n'aimait pas Bérénice.
Quant à Nathalie Azoulay, elle a sans doute dû les aimer, elle, et Racine avec eux pour leur offrir si bel écrin, une langue aussi ciselée et cadencée, limpide et chantante. Une langue à la fois érudite et magnifique, quasi-parfaite qui rend hommage au style du maître, à ses flots et ses éclats dont les tumultes ne sont qu'apparemment soumis.
Pour dire la passion et ses excès, il n'en fallait pas moins.