En couverture de cette édition folio : «
Tilla Durieux en Circé », détail du tableau peint en 1912 par
Franz von Stuck, peintre symboliste allemand traitant des sujets classiques de façon non conventionnelle, ici un portrait d'une actrice célèbre de l'époque. La référence à Circé, personnage mythologique ambiguë, femme et magicienne, constitue un bon choix d'illustration pour ces femmes diaboliques présentes dans chaque nouvelle.
Mais revenons-en au texte. J'ai vraiment été subjugué par le talent de conteur allié à la finesse d'écriture, on a là un véritable orfèvre du genre de la nouvelle. Mais cela se mérite, il faut déguster lentement, patienter avec la promesse que ce sera encore meilleur ensuite. Lire
le rideau cramoisi ou le bonheur est dans le crime – deux nouvelles remarquables – en s'imprégnant de l'atmosphère voulue par le conteur est une expérience rare et un véritable délice !
Le rideau Cramoisi : le mystère des lieux clos est savamment utilisé : la petite fenêtre au rideau cramoisi où a logé le vicomte de Brassard dans sa jeunesse, la diligence en réparation à un relais de poste la nuit avec ses deux voyageurs dont l'un est Brassard, tardant à raconter une histoire non révélée à quiconque auparavant. le sujet : un jeune officier – le vicomte de Brassard – est hébergé chez un couple de bourgeois à Valognes. Leur fil
le Alberte est au centre du récit. Soumise à l'inaction d'un milieu clos, c'est elle qui prend l'initiative d'une liaison cachée allant jusqu'à traverser, la nuit, tel un fantôme, la chambre de ses parents pour rejoindre son amant… La chute arrive tout à la fin et elle est diabolique !
Le Plus Bel Amour de Don Juan : j'avoue m'être un peu perdu dans le labyrinthe des phrases… Pour cette nouvelle, la magie du conteur n'a pas fonctionné pour moi, ce qui s'est reproduit pour
le Dessous de cartes d'une partie de whist, autre histoire d'inceste. Passons vite à celles qui m'ont jeté tout vif dans les griffes de ce diable de conteur nommé
Barbey d'Aurevilly.
Le Bonheur dans le crime : chef-d'oeuvre ! Cette histoire de Hauteclaire, fille d'un maître d'escrime, est absolument géniale et peut-être lue à différents niveaux… Que de phrases à double sens ! Cette femme, mystérieuse, belle et puissante, organise l'assassinat de la femme de son amant (tous deux aristocrates d'excellente réputation cela va sans dire...) et vivra heureuse avec celui qui deviendra ensuite son mari : l'honneur des hautes familles et leur valeurs confrontés à l'exact opposé, une licence, un libertinage entièrement dévoué à l'amour, sans aucun frein. Entre les deux, notre auteur semble bien choisir la deuxième proposition, au moins en littérature ! Comme une oscillation entre l'ancien monde qui tarde à disparaître (on est à la Restauration) et un nouveau monde, républicain, plus permissif – pour les femmes aussi –, avec ses valeurs marchandes liées à l'intérêt individuel, rebattant les classes sociales. A lire absolument ! Je n'avais que trop tardé à découvrir cette histoire là.
A un dîner d'athées : Une nouvelle plus longue gardant un rythme soutenu tout du long. On a le temps de s'installer et de profiter des digressions multiples du conteur et de l'autoportrait qu'on devine :
La vengeance d'une femme : une aristocrate, la duchesse de Sierra Leone, pour se venger de son mari, se jette dans la prostitution pour le déshonorer lorsque le scandale éclatera. La nouvelle la plus violente, la plus destructrice du recueil.
Mon avis agacé : J'ai retrouvé beaucoup des stéréotypes qu'on peut attendre d'un écrivain conservateur, royaliste et catholique, avec des femmes décrites comme manipulatrices, et des hommes qui succombent (les pauvres !), ces hommes qui n'ont qu'une vraie et saine passion : faire la guerre (évidemment !). Cette atrocité là, véritable et absolue, est acceptée de Dieu mais le commerce des femmes, non alors, quel
le abomination ! Hypocrisie qui est comme une seconde peau à la religion chez certaines âmes humaines. Ma modeste impression de lecteur serait de dire qu'on a là un homme tiraillé entre ses origines familiales pétries de convenances idéologiques, et un culte de la littérature inconciliab
le avec ces choix.
Mon avis admiratif : En même temps
Barbey d'Aurevilly semble dire le contraire de tout cela par le talent qu'il déploie pour décrire la beauté des femmes par exemple, une véritable fascination. L'amour qu'il voit dans certains couples est magnifié avec Hauteclaire et son amant Serlon dans le bonheur dans le crime (appelé par leurs prénoms, le comte Serlon de Savigny perdant son titre aristocratique dans l'amour véritab
le), avec la duchesse d'Arcos de Sierra-Leone et son malheureux amant Esteban (frémissez bonnes gens à son triste sort) dans
La vengeance d'une femme, aussi avec Rosalba et Mesnilgrand dans
A un dîner d'athées. L'auteur, un provocateur de génie, ne se prend pas lui-même au sérieux et n'assume aucune responsabilité directe, il rapporte ce qu'il a entendu, ce n'est pas lui qui est à l'origine des abominations racistes, antisémites présentes ici ou là. Même le dandy chez lui est ambiguë car largement passé de mode à cette époque.
Qui est réellement
Jules Barbey d'Aurevilly ? le mystère très présent dans ses fictions s'applique à l'auteur lui-même : torturé, aux oeuvres assez sombres, antimoderne... Né en 1808 en Normandie, il est souvent décrit comme solitaire et malheureux, aspirant à l'élitisme... mais sans le sou ; royaliste et catholique… rejeté par ceux-ci car trop diabolique ; désirant ardemment la célébrité mais très souvent rejeté par ses pairs ; séducteur … se décrivant comme laid ; timide trouvant dans la littérature un outil à sa (dé)mesure afin d'exprimer ses fantasmes de puissance. Un nostalgique de l'ancien régime qui met en scène la libération de la femme, exécration de façade et fascination démesurée à la fois, se flagellant d'avoir cette attirance…
Il reste une oeuvre inclassable dont on a pu dire qu'el
le annonçait
Dostoïevski, un maître de l'écriture de nouvelles dont il serait vraiment dommage de faire l'impasse. L'avez-vous lu ? Apprécié ?
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Chronique complète, avec composition personnelle de la couverture du livre et cette Circé magnifique, sur Bibliofeel. Lien direct ci-dessous...
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