Lorsque
Survivre malgré le bonheur est arrivé dans ma boîte aux lettres, j'eus la surprise d'un bel ouvrage illustré, au papier respectueux de l'environnement et des forêts européennes, et celle d'une courtoise lettre de l'éditeur,
Jacques André, établi à Lyon, à l'élégant en-tête entre deux hommes d'épée. L'épée qu'un privilège insigne autorisait aux imprimeurs de porter sous l'Ancien Régime :
Jacques André fut imprimeur, apprend-on du site Terre à ciel. L'attention portée à la confection du livre, à la typographie, aux couleurs, le montrerait assez. La couverture de Stefan Câltia, L'arbre à ailes, évoque
Jérôme Bosch. Réalisme magique, nous dit Wikiart, qui connaît tout et aime les étiquettes. Sur les poésettes de
Radu Bata, celle-là collerait assez bien. le réel merveilleux, écrit aussi
Alejo Carpentier dans
le royaume de ce monde. Et c'est une royauté, digne, sans la pesante majesté, c'est la merveille de ce monde, légère et lumineuse, que clame
Radu Bata. Ses courts poèmes en vers libres regorgent de joie, bien qu'ils se couvrent parfois d'une mélancolie, une lucidité sombre semblable à celle de son titre : il y a le bonheur, auquel il faut survivre ; il y a le merveilleux, les jeux de mots, la fulgurance souriante des images, et puis il y a la réalité, l'économie contemporaine, l'industrie qui pollue, le commerce envahissant et les média à l'heure des fake news ; la politique, allusivement brocardée (professeur de français en Roumanie jusqu'en 1990, le poète a connu l'ère Ceausescu ; ce sont d'autres dictatures en Europe de l'ouest aujourd'hui : celles de l'argent, de l'égoïsme et des fausses valeurs).
"le monde s'arrache les cheveux
oubliant qu'il porte la perruque
de l'hypocrisie",
nous conte ce compatriote de
Cioran.
de l'inconvénient d'être né ne s'engendre pas pourtant chez
Radu Bata la désespérance, mais une vision caustique et désillusionnée, que l'humour sauve.
"la géographie
de mon pays d'élection
suit les contours de tes lèvres
voilà pourquoi
aujourd'hui
je lui demande
l'asile politique"
Comme tant d'exilés, le poète s'écartèle entre ses langues dispersées :
"je me réveille en roumain
après un rêve français
si ce n'est pas
l'inverse"
Un sentiment de l'absurde en résulterait à moins. Il est d'usage de rappeler cette sentence attribuée à
Eugène Ionesco, illustre dramaturge roumain, qui vécut lui aussi en France : "La vérité est dans l'imaginaire". Celui de
Radu Bata projette sur le quotidien la lueur de l'évidence.