De Saint Paul à Saint François d'Assise en passant par Saint Augustin, les vies de saint racontent souvent la même histoire : une jeunesse impie, une conversion et une vie exemplaire. le bienheureux Charles de Foucauld a d'abord été militaire, élève de Saint-Cyr (dans la même promo que Pétain), puis explorateur au Maroc, incroyant ; il est devenu moine trappiste sur le tard, dans une extrême contrition. Il était attiré par une solitude et une mortification que n'assouvissait pas la vie monacale. On peut dire qu'il est donc retourné aux sources de l'érémitisme chrétien: la vie dans le désert.
L'Eglise se méfie de ces extrêmes humilités qui peuvent cacher un grand orgueil, l'enfer est pavé de bonnes intentions, mais Charles de Foucauld s'est toujours soumis à sa hiérarchie et c'est selon la volonté de l'Eglise et dans un contexte très particulier qu'il est parti, hors de toute communauté, littéralement prêcher dans le désert. de bonnes intentions, il n'en manquait pas, il a racheté avec ses pauvres moyens quelques esclaves, il a tenté quelques douces conversions par l'exemple sans beaucoup de résultat ; l'Afrique du Nord était toujours hermétique au christianisme, malgré la présence française en Algérie depuis 1830. Il écrit en 1905 : « Au Maroc, grand comme la France, avec dix millions d'habitants, pas un seul prêtre à l'intérieur ; au Sahara, sept ou huit fois grand comme la France et bien plus peuplé qu'on ne le croyait autrefois, une douzaine de missionnaires ! Aucun peuple ne me semblait plus abandonné que ceux-ci… ».
On peut accuser les Français de tous les maux en Afrique du Nord, mais certainement pas d'avoir fait du prosélytisme religieux, et si aucun effort n'avait été fait jusqu'en 1905, tout esprit sensé pouvait juger que rien ne serait jamais fait de ce côté-là. Charles de Foucauld était une exception, il croyait dur comme fer à la mission civilisatrice de la France : « Si nous sommes ce que nous devons être, si nous civilisons, au lieu d'exploiter, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc seront, dans cinquante ans, un prolongement de la France. Si nous ne remplissons pas notre devoir, si nous exploitons au lieu de civiliser, nous perdrons tout, et l'union que nous avons faite de ce peuple se tournera contre nous. »
Cependant, il se faisait peu d'illusions sur la conversion des Arabes musulmans, au contraire il voyait leur influence s'accroître. C'est plutôt sur les antiques Berbères, dont la foi lui paraissait plus superficielle, qu'il comptait s'appuyer pour introduire le christianisme. Il part donc s'installer à Tamanrasset, un village de « vingt feux », deux trois maisons et quelques tentes, en plein milieu des territoires touareg du Hoggar, seul. Dans cette solitude, son action ne pouvait se limiter qu'à la simple présence et l'exemple d'une vie humble et charitable. René Bazin évoque des rumeurs selon lesquelles le Père de Foucauld aurait poussé la tolérance de l'Islam jusqu'à réciter des versets du Coran lors de funérailles, il le nie, mais il rapporte aussi le témoignage d'un certain docteur Hérisson qui a vu Charles de Foucauld encourager quelques musulmans tièdes à faire leur prière. Voilà où il en était, à essayer de rendre ces nomades sédentaires, à leur apprendre à récolter la nourriture, la laine et à ne pas perdre tout lien avec la religion, quelle qu'elle soit. La base : se rendre acceptable par ses bienfaits. Et aussi préparer la voie aux futurs missionnaires en étudiant la langue et la culture. Il a écrit un dictionnaire et traduit des poésies.
Avec tout ce qu'il s'est passé en un siècle, on rêve beaucoup sur ce qu'aurait pu devenir l'Afrique du Nord, si les conseils du Père de Foucauld avaient été suivis et sans quelques évènements. Il ne s'agit pas tellement de la loi sur la laïcité, que René Bazin semble déplorer. Elle n'a certainement pas favorisée les missionnaires, mais s'il n'y en avait que cinquante-six en 1910, ce n'était pas la faute à cette loi, c'est qu'il n'y avait jamais eu une réelle volonté de christianiser ces colonies avant. C'est toujours l'exploitation économique qui avait primée, comme le regrettait Charles de Foucauld. Par contre, il y a les guerres européennes et l'Allemagne dépourvue d'empire colonial, qui ont certainement jouées un grand rôle dans le processus de décolonisation, à commencer par la mort du Père de Foucauld.
Commenter  J’apprécie         50
Un chacal dévalisait le poulailler des clarisses. Il se glissait dans un jardin, par un certain passage qu'on connaissait bien, entre deux roches, enlevait une poule qu'il emportait encore criant; le lendemain, il enlevait la meilleure pondeuse, et, s'il y avait ensuite un peu de répit, c'est que le sire aux oreilles pointues rendait visite aux basses-cours des voisins. Il fallait débarrasser le pays de cette bête puante et voleuse. Et qui le ferait plus aisément qu'un ancien officier de cavalerie? On avait emprunté un fusil de chasse à un agent consulaire. Charles de Foucauld se mit à l'affût, à bonne distance des roches, et commença d'attendre le chacal. Mais à peine se fut-il assis sur une pierre, l'arme chargée posée sur ses genoux, qu'il se mit à réciter le rosaire, selon la coutume qui lui était chère, et à méditer les mystères joyeux, douloureux, glorieux. Le temps, pour lui, passait délicieusement. [...] Le chacal n'en demandait pas plus. Il vint en trottinant, s'arrêta avant de se montrer, reconnut que l'ennemi avait l'esprit ailleurs, pénétra dans le poulailler, tua net une poule choisie, et, au galop cette fois, l'emporta. Quand les tourières vinrent interroger Frère Charles, et lui demandèrent des nouvelles de la chasse:
-Je n'ai rien vu passer, répondit-il. Ce fut son premier et son dernier affût dans les collines de Nazareth.
Cette douceur de la solitude, je l'ai éprouvée à tout âge, depuis l'âge de vingt ans, chaque fois que j'en ai joui. Même sans être chrétien, j'aimais la solitude en face de la belle nature, avec des livres, à plus forte raison quand le monde invisible et si doux fait que, dans la solitude, on n'est jamais seul. L'âme n'est pas faite pour le bruit, mais pour le recueillement, et la vie doit être une préparation du ciel, non seulement par les oeuvres méritoires, mais par la paix et le recueillement en Dieu. Mais l'homme s'est jeté dans des discussions infinies : le peu de bonheur qu'il trouve dans le bruit suffirait à prouver combien il s'y égare loin de sa vocation.
Il ne faut jamais hésiter à demander les postes où le danger, le sacrifice, le dévouement sont plus grands : l’honneur, laissons-le à qui le voudra, mais le danger, la peine, réclamons-les toujours. Chrétiens, nous devons donner l’exemple du sacrifice et du dévouement. C’est un principe auquel il faut être fidèle toute la vie, en simplicité, sans nous demander s’il n’entre pas de l’orgueil dans cette conduite : c’est le devoir, faisons-le, et demandons au Bien-Aimé Époux de notre âme de le faire en toute humilité, en tout amour de Dieu et du prochain…
Il n'est pas douteux que la foi à l’Église et à la morale chrétienne avait été rejetée. Avait-elle disparu? C'est une autre question, et je crois plutôt qu'elle se tenait très loin, invisible, comme une terre qu'un navigateur a abandonnée, où il a la ferme intention de ne pas revenir, mais dont il sait qu'elle existe, dont il aime encore, sinon les jours qu'il y a passés, du moins plusieurs des habitants qui vivent là, et qui sont de cette patrie ancienne. Tant qu'on aime un chrétien, on aime encore un peu le Christ qui l'a formé.
Si vous saviez combien je désire finir ma pauvre et misérable vie, si mal commencée et si vide, de cette façon dont Jésus a dit, le soir de la Cène, "qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ce qu'on aime" ! J'en suis indigne, mais je le désire tant ! Les bruits de guerre reprennent... c'est un état très doux pour l'âme : se sentir toujours si près, si au seuil de l'éternité, c'est une douceur extrême et en même temps cela est bon pour l'âme.