D'emblée, Antonio donne le ton en nous présentant son environnement d'une manière sardonique–ton que l'on retrouvera dans chaque page de ce livre, aussi mordant lorsqu'Antonio l'utilisera pour décrire les étapes de la progression de l'intrigue que lorsqu'il partagera avec son lecteur des réflexions sur la question de ses origines. Les deux semblent d'ailleurs fortement liés car c'est en revenant à Sora, la ville italienne dont sont issus ses aïeux, qu'Antonio se retrouve empêtré dans une histoire qui deviendra beaucoup plus compliquée et dangereuse que ce qu'il avait initialement prévu.
Après la mort de son ami Dario, lui aussi immigré italien quoique plus attaché à ses origines que ne l'est Antonio, ce dernier décide d'élucider le mystère de sa disparition en revenant sur les derniers projets qui avaient animés feu son ami. Ainsi, Antonio se retrouve dans le patelin de ses ancêtres, découvrant les terres sur lesquelles pousse un raisin de mauvaise qualité et dont on tire un vin tout aussi médiocre. Véritable gâchis que cet héritage familial même pas foutu de mettre un peu de beurre dans les épinards des rejetons... Dario en avait pris conscience rapidement et Antonio, mis au courant des projets fomentés par son ami pour redonner un peu de valeur financière à ces terres, décide de poursuivre la tâche entamée par son ami. Pour attirer l'attention sur ses vignes, Antonio invoque les miracles religieux les plus grossiers (on en aura la preuve : ce sont aussi ceux qui marchent le mieux). Hélas, il est loin d'imaginer les conséquences qui découleront de cette mise en scène. Antonio se retrouve dépassé par les évènements, abruti devant le spectacle de l'enchaînement des faits, spectateur effrayé des moeurs d'un pays qu'il connaît mal. Ce sera l'occasion de faire surgir une foule de personnages typiques, d'autant plus stéréotypés que l'on sent qu'Antonio craint d'avoir quoi que ce soit de commun avec eux. On retrouve la mama italienne, diva de l'assaisonnement des pâtes et spécialiste du zapping télévisé ; le faux aveugle qui ne cesse de chanter en déambulant à travers les champs ; la mafia locale ; les ressortissants de la période Mussolini ; et plus généralement, une population encore fortement ancrée dans les traditions et coutumes chrétiennes.
Antonio n'est pas à l'aise mais cette confrontation lui permettra de soigner le mal –la honte de ses origines fantasmées- par le mal –la découverte des plus ardents représentants de ses origines. Lui qui cherchait coûte que coûte à se définir par opposition à sa patrie d'origine comprendra qu'il s'agit d'une démarche vaine puisque, de toute façon, Antonio est bien trop différent de la population locale pour qu'il puisse être assimilé à leur communauté. Ce retour au bercail familial permettra également à Antonio de comprendre certaines particularités du comportement de ses parents. L'agacement qu'il concevait parfois pour eux cèdera gentiment place à une forme de tendresse plus élaborée. Mais cette métamorphose n'est pas creusée car
la Commedia des ratés n'est pas un livre sur les origines, et son intention première est de nous embarquer le long d'une intrigue bien ficelée. Cette intrigue, pas passionnante en soi, n'est toutefois pas désagréable à lire car Antonio nous la fait vivre à travers son regard chargé d'un mélange d'ironie et de lassitude bien dosé. Comble de l'ironie, Antonio se laisse rattraper par ses origines à travers ce trait de caractère universellement partagé de la gourmandise ; et s'il renie les autochtones, il ne crache jamais sur un café bien préparé ou un plat de pâtes bien accommodé.
« Les rigatonis sont des pâtes larges, trouées et striées afin de mieux s'imprégner de sauce. Un calibre assez gros pour diviser une famille en deux, les pour et les contre, et chez nous, mon père à lui seul se chargeait du contre. Il a toujours détesté les pâtes qu'on mange une à une et qui remplissent la bouche. Il est fervent défenseur des capellinis, le plus fin des spaghettis, cassés en trois et qui cuisent en quelques secondes. Est-ce pour le geste agile de la fourchette slalomant dans une entropie frétillante, ou bien cet étrange sentiment de fluidité dans le palais, mais il n'en démord pas. »
Encore une fois, et cela semble être la grande leçon de ce siècle (en ce sens, l'originalité ne triomphe pas) : les anti-héros font preuve de leur talent à susciter la sympathie et le rire, et à conférer un surplus d'intérêt à une intrigue qui serait peut-être tombée dans l'anecdotique sans cela.
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