Prenez quatre personnes qui a priori n'ont rien à voir. Mathilde, spécialisée dans le roman à l'eau de rose, Louis, qui a longtemps travaillé à Cinecittà auprès de grands cinéastes, Jérôme scénariste qui se fait plagier ses meilleures créations, et Marco qui veut absolument le devenir – scénariste. Ces quatre-là sont un jour réuni par le boss d'une grande chaine de télé. L'heure est grave, il faut absolument remplir les quotas de production française, sinon ça va gueuler au-dessus, on ne plaisante pas avec ça, surtout quand la hiérarchie doit lâcher des sous. Donc la bande des quatre se retrouve avec un crédit illimité au kiosque à pizzas à côté du local d'écriture et ont pour mission d'écrire les scenarios et dialogues d'une série télé. Une série télé qui ne doit pas coûter un rond à tourner et à produire et que de toutes façons, on diffusera entre quatre et cinq heures du matin. On l'intitule
Saga parce que c'est commode et vite identifiable. Mathilde, Louis et Jérôme et Marco se mettent au travail. Contre toute attente, ils sont ravis de cette opportunité : la seule restriction qui leur est imposée est financière, pour le reste ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent !
Ce qui ne devait être une série perdue dans la masse d'heures de programmes télés trouve un public. Des petits vieux insomniaques qui dans leur maison de retraite se délectent de
Saga et écrivent des courriers enthousiastes aux scénaristes. Et qui font du bouche-à-oreille. Et les jeunes s'y mettent aussi. Et soudain la série se met à passer en matinée. Puis entre midi et deux. Jusqu'à envisager le sacro-saint prime. Les audiences explosent. Les personnages de
Saga deviennent des stars. Les scénaristes des demi-dieux. Conséquence, le boss qui les avait convoqué veut reprendre la main sur la série qu'il a contribué à engendrer bien malgré lui. Or Mathilde, Louis, Jérôme et Marco tiennent à leur création. Et en tant que scénaristes, ils ont un pouvoir gigantesque : écrire LA série dont toute la France parle, jusqu'à la décision finale sur le déroulement des épisodes…
Ce page-turner se paie le luxe d'éviter les clichés, la pauvreté de la langue, pour offrir un grand roman populaire.
Saga mélange les scénarios et dialogues de la série au récit des quatre scénaristes, qui voient progressivement leur créature prendre une ampleur inespérée pour ces quatre parias de la création artistique. On éprouve une joie intense à la lecture de ce roman à une époque où les showrunners sont devenus des personnes aussi, voire plus importantes que les comédiens qu'ils mettent en scène. Bien que la question de la programmation apparaissent un peu datées, dans une époque où la guerre de la fiction a plus lieu sur les plateformes de streaming que sur les grilles de télévision,
Saga reste un roman tout à fait délectable sur le pouvoir de la fiction, qu'il soit
romanesque, cinématographique ou sériel.