Pour évoquer les années qui précèdent la Révolution, doit-on parler d’« origines », de « causes », d’une « pré-révolution » ? La question est tout sauf innocente. Les historiens se sont déchirés, deux siècles durant, pour faire triompher leur conception des racines de la Révolution. Une école historiographique, souvent qualifiée de « jacobine », voire de « marxiste », a imposé durablement sa vision des « causes » de la Révolution. Le maître ouvrage en la matière est celui de Georges Lefebvre, publié en 1939, qui décrit la montée en puissance d’une bourgeoisie désireuse de renverser, en partie, l’ordre social pour prendre le pouvoir à l’aristocratie terrienne. C’est en 1954 que le premier coup fut porté par Alfred Cobban, pionnier de ce qui allait devenir l’école dite « révisionniste » : un « mythe de la Révolution française », forgé par les historiens, aurait dissimulé des raisons politiques essentielles pour comprendre 1789, bien plus importantes que les origines économiques et sociales traditionnellement mises en avant. D’autres historiens ont aussi suggéré de minimiser l’originalité française en réinsérant la Révolution dans une chaîne de « révolutions atlantiques » (cf. chap. 1). L’intérêt de ces débats fut de contribuer à relancer la recherche et à faire admettre que la Révolution n’avait point une cause unique ou majeure.
L’année 1788 a montré que les tensions étaient vives entre les partisans et les adversaires des réformes. La convocation des États généraux, annoncée le 5 juillet 1788, le doublement du nombre de députés du Tiers, décidé le 27 décembre et la rédaction des cahiers des doléances organisée entre mars et avril 1789 provoquent cependant un mouvement général d’espérance que rien ne semble pouvoir contrarier. Le 5 mai, respectant scrupuleusement l’étiquette, la séance d’ouverture des États généraux se déroule dans une atmosphère empesée. Necker y fait un discours dans lequel nul programme n’est avancé au profit de simples « conseils ». Pendant plus d’un mois, chaque ordre délibère séparément, le Tiers essayant vainement de convaincre la majorité des députés des autres ordres de se joindre à lui. Le 17 juin, par 491 voix contre 89, le Tiers adopte le nom d’Assemblée nationale : sans consentement royal et par sa propre volonté, le Tiers s’est érigé en représentation nationale. Cette décision audacieuse occasionne l’inquiétude au sein des ordres privilégiés. Le roi, qui venait de perdre le Dauphin, son fils aîné, le 4 juin, décide alors d’intervenir avec la tenue d’une « séance royale » prévue le 23 juin. Le 20, les députés du Tiers trouvent close la porte de leur salle de réunion. Ils décident d’investir une salle de jeu de paume voisine dans laquelle ils prêtent le serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au royaume. C’est donc dans une atmosphère à la fois frondeuse et bercée d’espoir qu’a lieu la réunion plénière du 23. Mais le discours du monarque laisse place à la déception, les propositions royales n’étant pas à la mesure des attentes des députés…
Robespierre, Portraits croisés - Bourdin Philippe et Michel Biard