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Jacob Peter Mayer (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070322992
378 pages
Gallimard (11/04/1985)
4.04/5   82 notes
Résumé :
Cet ouvrage est une étude de sociologie politique comparée, comme l'Esprit des Lois de Montesquieu. Tocqueville voulait démontrer par l'exemple de l'histoire française que l'Etat moderne crée la centralisation et que celle-ci va de pair avec la démocratisation de la société. Cependant, il y a deux démocraties : la démocratie libre et celle qui ne l'est pas. Il fallait définir les méthodes poli-tiques qui seules peuvent garantir la première.
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
En ouverture de ce billet, l'honnêteté me pousse tout d'abord à adresser de chaleureux remerciements à Jean-Michel Blanquer : sans la réforme du lycée, qui a inscrit Tocqueville au programme de cette nouveauté qu'est la Spécialité Histoire-Sciences Po, il est en effet probable que je ne me serais pas intéressé d'aussi près à cet écrivain passionnant. Mes remerciements à M. Blanquer s'arrêtent là, j'en ai bien peur. On me dira que pour un ministre de l'Education Nationale, le bilan n'est déjà pas si négatif.

Alors que de la démocratie en Amérique est considéré comme un ouvrage fondateur de la science politique, Tocqueville fait ici oeuvre d'historien. Il va cependant à rebours des méthodes historiques de son siècle, lesquelles s'orientent alors vers l'obsession méticuleuse de la chronologie et les récit insipides de batailles glorieuses ou de vies des hommes illustres. Sous la plume de Tocqueville, l'histoire est une discipline qui voit large : elle brasse les décennies avec une haute ambition intellectuelle et dédaigne le marécage événementiel, dans une approche pré-braudélienne absolument fascinante. L'auteur ne s'intéresse qu'aux tendances de fond, arpentant la société française tout au long du XVIIIème siècle afin d'y découvrir les éléments qui permettent d'éclairer et de comprendre l'explosion révolutionnaire de 1789. Sans tomber dans le piège du déterminisme, son propos est de souligner à quel point la Révolution se présente comme la conséquence logique et la continuation cohérente, sous d'autres formes, d'évolutions esquissées longtemps auparavant. Dispensée dans une langue qui constitue un enchantement littéraire, son analyse est bien connue mais n'en reste pas moins brillante, tout en étant largement fondatrice de l'historiographie moderne de la Révolution.

Pour résumer très schématiquement sa thèse, disons que le XVIIIème siècle voit la conjonction d'une triple évolution : la noblesse renonce définitivement à son utilité sociale tout en s'accrochant à des privilèges qui la transforment en une caste de rentiers ; dans le même temps, la monarchie profite de cette situation pour étendre un pouvoir centralisé, déjà moderne, souvent arbitraire et visant à l'absolu ; prises dans la tenaille de ces dynamiques contraires, les vieilles structures qui donnaient tant bien que mal une voix au Tiers-État s'étiolent, tombent peu à peu en déshérence et laissent finalement le peuple sans autre moyen que la violence pour exprimer son désir de liberté et son rejet croissant de l'inégalité.
Tocqueville ne cache rien de ses opinions dans le cours de son ouvrage : il est féroce avec la noblesse, dont il est pourtant issu, et se montre profondément admiratif de 1789 et de ses espérances, tout en gardant une sincère affection pour Louis XVI. Il ne dissimule pas non plus son effroi pour 1793, règne du chaos qui, selon lui, précipite la France vers un pouvoir absolu dont même Louis XIV n'aurait jamais osé rêver. Il ne faut pas s'y tromper, ni l'idéaliser : Tocqueville est un libéral, et il n'a rien d'un socialiste (si je me souviens bien, il approuva d'ailleurs en juin 1848 la répression contre les ouvriers parisiens qui s'opposaient à la fermeture des Ateliers Nationaux).
Sa démonstration vient ici enrichir certains éléments qu'il avait développés dans de la démocratie en Amérique, concernant la tyrannie de la majorité ou le risque du despotisme démocratique. C'est sur ce plan que son ouvrage s'échappe du strict cadre historique pour se transformer en un essai de sciences politiques. Sa réflexion sur la liberté politique reste en la matière une référence difficilement dépassable. Et par sa façon méthodique de prendre du recul et de dégager des invariants, il me semble que Tocqueville recherche ouvertement cette dimension prospective : pour lui, l'histoire de la Révolution doit servir à anticiper l'avenir.
De fait, tout au long du livre, le lecteur ne peut que s'interroger sur l'étonnante actualité de cet ouvrage vieux de près de deux siècles.
Cela n'aurait évidemment guère de sens de transposer ce texte tel quel à la France de 2020. Inutile d'affubler Macron d'une perruque à la Louis XVI, ou de ressortir l'histoire de Marie-Antoinette et de ses brioches quand Brigitte s'inquiète de ce que les grèves pourraient perturber la livraison du sapin de Noël de l'Elysée.
Néanmoins, lorsque Tocqueville écrit ceci (p292-293 de l'édition Folio) :
« Louis XVI, pendant tout le cours de son règne, ne fit que parler de réformes à faire. Il y a peu d'institutions dont il n'ait fait prévoir la ruine prochaine, avant que la Révolution ne vînt les ruiner toutes en effet. […]
Parmi les réformes qu'il avait faites lui-même, quelques-unes changèrent brusquement et sans préparations suffisantes des habitudes anciennes et respectées et violentèrent parfois des droits acquis. Elles préparèrent ainsi la Révolution bien moins encore en abattant ce qui lui faisait obstacle qu'en montrant au peuple comment on pouvait s'y prendre pour la faire. »
Est-ce vraiment forcer le trait et l'interprétation, lorsqu'on lit cela (ou les autres citations que j'ai pu ajouter), que de trouver entre cette époque et la nôtre une étrange concordance de temps ?
Tocqueville nous brosse le portrait d'une société fondée sur l'injustice : une société dans laquelle l'impôt, ayant pour objet « non d'atteindre les plus capables de le payer mais les plus incapables de s'en défendre », épargne le riche mais charge le pauvre ; une société en crise, incapable de se réformer dans l'équité, car dominée par une caste de privilégiés ou de parvenus ; une société dans laquelle ceux qui subissent l'inégalité ne la supportent plus et où les élites manquent à ce point de lucidité qu'elles en deviennent sourdes et aveugles à tout ce qui n'est pas leur intérêt immédiat. Voilà au final le sentiment que j'en retire, inquiet et attristé : plus que jamais, ce texte reste d'ici et de maintenant.
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L'ancien régime et la Révolution d'Alexis de Tocqueville est d'une modernité étonnante. En plongeant dans son analyse sociologique du temps précédent la Révolution, j 'ai eu par moment l'impression d'une description contemporaine. Modulo un français d'aujourd'hui et une contextualisation politique, son ouvrage pourrait s'appeler la 5e République et la nouvelle Révolution ( en gestation) . Les conditions semblent réunies à l'instar de celles du 18e siècle ; notamment le délitement du lien social, le fossé entre les élites et les classes populaires, entre les classes moyennes et populaires ,qui ressemblent fortement au cloisonnement entre la noblesse, la bourgeoisie et le peuple de l'ancien Régime ; l'injustice de l'impôt dont étaient exemptés les nobles et qui de nos jours s'apparente à l'optimisation fiscale qui leur permet d'y échapper ou de payer un montant dérisoire au regard de leurs revenus.
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Comprendre l'histoire de notre pays, comme d'ailleurs l'histoire mondiale est, sans doute, une des approches nécessaires pour appréhender notre France et notre monde actuels.
Il ne faut pas, certes, tomber dans la facilité de « faire parler » une situation que nous connaissons de nos jours à l'aune d'une situation passée, dans une sorte de copié-collé, c'est ce que font volontiers les politiciens. Ou encore de se contenter de dire que l'histoire est un éternel recommencement.
Mais les comportements humains qui animent les événements restent, au fond, les mêmes, quelle que soit l'époque, et justifient cette comparaison passé-present.
Cependant, l'interprétation des grands bouleversements sociétaux et politiques que sont les périodes révolutionnaires est plus difficile à faire que celle des changements progressifs.

C'est tout l'intérêt de cet ouvrage de Tocqueville (surtout connu pour son analyse de référence « de la Démocratie en Amérique », analyse magistrale de l'organisation politique des États -Unis au 19ème siècle).
A l'inverse des autres, tels celui remarquable d'Albert Mathiez que j'ai commenté il y a quelque temps, le livre d'Alexis de Tocqueville ne donne aucun déroulé des événements ; et d'ailleurs, aucune analyse de la révolution de 1789 et de son évolution jusqu'à sa chute n'est donnée. Qu'est-ce qui l'en a empêché? Sans doute la difficulté d'appréhender cette période révolutionnaire, lui qui était de la noblesse, et partisan de l'ordre en politique. En effet, si l'on a trouvé des notes de lui sur le Consulat, une période plus stable, aucune note sur la Période révolutionnaire n'a été retrouvée.

Tocqueville se limite donc en réalité, mais c'est stimulant pour la réflexion, à nous produire un essai d'analyse socio-politique de cette période qu'il appellera l'Ancien Régime, pour en discerner les raisons qui ont conduit au grand basculement dans la période révolutionnaire. Un essai étayé par de très nombreuses et volumineuses notes qui montrent que l'auteur a systématiquement analysé un nombre considérable de documents, notamment de caractère administratif, pour comprendre comment fonctionnait l'Ancien Régime.

L'ouvrage se décompose en 3 « livres », disons trois grands chapitres.

Dans le premier, Tocqueville essaie de devenir l'essence même de la Révolution française, d'abord en disant ce qu'elle n'est pas. Elle n'est ni anti-religieuse, ni politique, ni sociale, mais plutôt un changement de ce qu'il qualifie d'institutions qui vont devenir égalitaires en substituant à une survivance d'institutions féodales. C'est-à-dire un changement à la fois politique et social très en avance sur ce qui s'est passé dans les autres pays européens.

Dans le second, le plus étoffé, Tocqueville analyse comment a évolué la France Royale au cours des siècles qui ont précédé celui de la Révolution.

D'abord une analyse de l'Etat, montrant que la centralisation du pouvoir, avec comme conséquence une centralisation administrative, a été une sorte d'obsession des souverains depuis le Moyen Age, dans le but notamment de briser ou contourner le pouvoir des féodalités. Cela culmine avec Louis XIV qui va décider, avec son célèbre « L'Etat c'est moi », que l'Etat royal est propriétaire de toutes les terres du royaume, et que les « vrais » propriétaires, noblesse, clergé, bourgeois, paysans, etc… ne sont que dépositaires d'un bien appartenant à l'Etat, c'est-à-dire au Roi. En quelque sorte, un collectivisme royal!
Or cette centralisation va vider progressivement de leur contenu les privilèges de la noblesse et du clergé, qui pouvaient se comprendre dans un régime féodal, dans lequel noblesse et clergé étaient les garants de la sécurité des biens matériels et spirituels de la population sous leur tutelle.

En ce qui concerne la société civile, Tocqueville fait remarquer que, comparativement à d'autres pays européens, le servage disparaît rapidement en France pour laisser place en bonne partie à une population de petits paysans propriétaires de leurs terres; et donc une paysannerie avec une relative autonomie, mais qui paie l'impôt ou plutôt les divers impôts et nombreuses taxes.
Il y a aussi le développement important d'une bourgeoisie des villes consécutive notamment au développement du commerce et de l'industrie. Une bourgeoisie parfois très riche mais qui paie l'impôt, alors que ni la noblesse, ni le clergé n'y contribuent. Une bourgeoisie qui est aussi celle des fonctionnaires qui sont chargés de la gestion administrative (dont la collecte de l'impôt), fonctionnaires dépendants du pouvoir royal.

Dans le livre III, Tocqueville analyse les changements qui se sont produits dans la deuxième partie du 18ème siècle, changements qui vont servir d'accélérateurs et conduire inéluctablement à la Révolution française de 1789.
Il y distingue l'influence des « Philosophes des Lumières » dans le développement du concept de l'égalité des droits indépendamment du statut social, de l'anticléricalisme, du rôle de certains économistes dans l'idée d'abolition de la propriété; et enfin, le rôle néfaste de plusieurs réformes: suppression des Parlements par Louis XV, qui, malgré leurs défauts, la corruption notamment, constituaient une sorte d'instance décentralisée; remplacement des intendants par des assemblées électives qui bouleversent le tissu social, gênent les décisions, mettent en conflit ceux qui paient ou ne pas l'impôt, etc…

Bref, l'organisation socio-politique, héritée d'une société féodale qui n'existe plus, apparaît déphasée, à bout de souffle; et « il suffira d'une étincelle, pour allumer le feu ».

Cette analyse qui montre que la Révolution était inéluctable pour beaucoup de raisons, est convaincante.
Mais certaines conclusions qu'en tire Tocqueville m'ont moins convaincu. En particulier, le fait que la centralisation administrative imposée par la royauté a perduré lors de la Révolution ne rend pas compte du fait qu'avant l'épisode de la Terreur, puis celle du Consulat, un fort courant de volonté de donner plus de liberté aux provinces s'est manifesté. Aussi, les commentaires de l'auteur sur le caractère néfaste pour notre pays de la disparition de la Religion comme ciment de l'unité de la Nation, n'est pas exact, car le Culte de l'Etre suprême a remplacé le culte religieux catholique et le courant hébertiste qui voulait abolir la religion ne l'a jamais emporté. Dans son propos, il fait référence à la démocratie des USA, et à la monarchie constitutionnelle britannique. Nous savons maintenant,depuis les lois de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, que la laïcité peut aussi cimenter une Nation.

Malgré ces critiques, voilà un ouvrage passionnant qui incite à la réflexion sur quelques « maladies » françaises toujours d'actualité: l'hyper-centralisation administrative; l'hyper-présidentialisation susceptible de cristalliser les mécontentements; et aussi l'obsession égalitaire, ou plutôt, comme le dit Tocqueville, la haine de l'inégalité, et celle « des privilégiés », tels que sont considérés les hyper-riches par le « peuple français ». A la différence près, que beaucoup de ces milliardaires français, qui,certes, font tout pour bénéficier d'avantages fiscaux, n'ont pas reçu ce privilège en héritage, créent des emplois, etc..Et que l'économie s'étant mondialisée, ceux qu'il faut craindre, car en passe de devenir les vrais maîtres du monde, n'appartiennent à aucune nation.


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Avec l'Ancien régime et la révolution, Tocqueville nous livre une étude passionnante sur les constantes de la vie politique française. C'est surtout un livre sur l'ancien régime et les causes de la révolte plus que sur la révolution elle même et ses conséquences.
Il essaie de décrypter un point fondamental, à savoir pourquoi la révolution a t-elle eu lieu en France et pas ailleurs, alors que d'autres pays avaient davantage de motifs à se soulever contre la seigneurie et les privilèges. Son hypothèse est intéressante et elle démontre que la révolution n'a pas vraiment été une rupture, mais, l'aboutissement d'une forme de centralisation mise en oeuvre depuis des décennies déjà, et plus particulièrement sous Louis XIV.
Tocqueville s'est manifestement appuyé sur de nombreuses archives et son livre abonde de comptes rendus, lettres d'intendants et autres procès-verbaux qui sont des plus édifiants sur la façon dont fonctionnait l'administration à l'époque. On découvre que la démocratie au Moyen-Âge était nettement plus dynamique qu'au temps de la révolution et que la majorité des terres appartenait alors aux paysans.La volonté centralisatrice de la royauté pour asservir la Noblesse en la comblant de privilèges mais, en la dépossédant de son pouvoir local d'administration à fait que le paysan n'a plus vu dans le seigneur qu'un profiteur sans utilité ni responsabilités mais qu'il entretenait malgré tout et cela sans contrepartie. En commercialisant les Charges, Louis XIV a déconstruit la démocratie municipale jusqu'alors active, il a annihilé tous les pouvoirs intermédiaires, les assemblées, les parlements locaux,et cantonné l'aristocratie à un rôle honorifique. Cet amoncellement de réglementations versatiles et souvent absurdes, n'a fait que perturber la vie des classes moyennes et de la bourgeoisie sans qu'ils n'en retire aucun bénéfice. La chute était inéluctable,en gardant éloignées les unes des autres,les élites des différentes classes sociales, en les privant de l'opportunité de se rencontrer pour débattre ensemble de l'avenir, le pouvoir à voulu masquer sa faiblesse et ses déficiences mais à précipité sa fin.
Il est amusant et à la fois consternant de constater le parallèle entre l'Ancien régime et l'évolution de plus en plus bureaucratique et illibérale de notre société. Notre administration aussi paperassière qu'inefficace n'a rien à envier à ce passé. La concentration extrême des pouvoirs qui s'appuie sur une pensée intellectuelle élaborant des projets de société utopistes totalement en dehors des réalités nous ramènera peut être demain aux prémices de la révolution. Tocqueville se montre d'une modernité étonnante, il avait bien compris, à l'inverse de nos élites, les mécanismes de la politique et les conséquences que peut engendrer l'inadéquation avec les aspirations de la société .
Une lecture enrichissante,parfois un peu rébarbative mais qui ne manque pas de pragmatisme ni d'intérêt.
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« Il faut que tout change pour que rien ne change « c'est la célèbre phrase du Guépard annonçant la fin de la noblesse séculaire au profit d'une aristocratie d'argent où les privilèges et les inégalités demeureront.
Dans cette étude magistrale basée sur des archives des trois états à la veille de la Révolution ,Alexis de Tocqueville démontre que la Révolution était inéluctable tant les conflits d'intérêts entre classes sociales étaient manifestes.
La monarchie d'Ancien Régime avait, au fil des siècles ,de plus en plus centralisé les pouvoirs à Paris et administré de la capitale toutes les provinces françaises ( le Languedoc et la Bretagne. dans une moindre mesure)
Des intendants et des fonctionnaires d'état propriétaires de leur charge étaient exemptés de l'impôt mais chargés de parcourir les « généralités « afin de prélever la taille , impôt direct sur les revenus de la production agricole( récoltes, bétail) ce qui eut pour conséquence de développer les villes au détriment des campagnes et de faire payer l'impôt par une seule classe: la paysannerie riche ou moyenne
Cependant l'analyse de Tocqueville est complexe et nuancée.
Si le peuple s'en est pris au clergé c'est avant tout parce que les ecclésiastiques étaient de gros propriétaires terriens exemptés de la taille et de «  ses accessoires » et non contre la religion catholique.. Dans le même temps les salons littéraires distillaient des idées irrévérencieuses qui atteignaient le peuple et dont il se servit pour détruire la noblesse et pourchasser voire massacrer les prêtres.
Toutes ces conclusions concernant la Révolution sont connues mais Tocqueville ouvre de nouvelles perspectives:
La centralisation de l'Etat ( le jacobinisme) n'est pas une conquête de la Révolution mais existait depuis des siècles et ne fit que se renforcer .
Le servage avait certes été aboli bien plus tôt en France qu'ailleurs mais « les corvées » obligèrent les paysans les plus pauvres à faire des travaux d'intérêt général sans percevoir de rémunération ( ou en remplacement du paiement de la taille)

Plus surprenant encore: contrairement aux idées reçues ,les manufactures se développant dans la 2 ème partie du XVIIIème siècle, la France était prospère et c'est précisément ce qui a déclenché la Révolution ,les paysans riches et la bourgeoisie laborieuse ne pouvant plus supporter les exonérations d'impôts octroyées indûment à la noblesse qui n'était plus qu'une caste de privilégiés .

J'ai lu ce texte à dose homéopathique, la lecture est à la fois facile car la langue est simple mais aussi difficile par le raisonnement subtil de l'auteur.
Tout lecteur de ce livre ne pourra s'empêcher de songer aux gouvernements de la France contemporaine où on retrouve les mêmes «  fondamentaux « : Centralisation, administration tentaculaire, privilèges de castes, imposition des classes moyennes de moins en moins consentie…
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Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Jusqu’à la Révolution, la paroisse rurale de France conserve dans son gouvernement quelque chose de cet aspect démocratique qu’on lui avait vu dans le moyen âge. S’agit-il d’élire des officiers municipaux ou de discuter quelque affaire commune : la cloche du village appelle les paysans devant le porche de l’église ; là, pauvres comme riches ont le droit de se présenter. L’assemblée réunie, il n’y a point, il est vrai, de délibération proprement dite ni de vote ; mais chacun peut exprimer son avis, et un notaire requis à cet effet et instrumentant en plein vent recueille les différents dires et les consigne dans un procès-verbal.

Quand on compare ces vaines apparences de la liberté avec l’impuissance réelle qui y était jointe, on découvre déjà en petit comment le gouvernement le plus absolu peut se combiner avec quelques-unes de formes de la plus extrême démocratie, de telle sorte qu’à l’oppression vienne encore s’ajouter le ridicule de n’avoir pas l’air de la voir. Cette assemblée démocratique de la paroisse pouvait bien exprimer des vœux, mais elle n’avait pas plus le droit de faire sa volonté que le conseil municipal de la ville. Elle ne pouvait même parler que quand on lui avait ouvert la bouche ; car ce n’était jamais qu’après avoir sollicité la permission expresse de l’intendant, et, comme on le disait alors, appliquant le mot à la chose, sous son bon plaisir, qu’on pouvait la réunir. Fût-elle unanime, elle ne pouvait ni s’imposer, ni vendre, ni acheter, ni louer, ni plaider, sans que le conseil du roi le lui permît. Il fallait obtenir un arrêt de ce conseil pour réparer le dommage que le vent venait de causer au toit de l’église ou relever le mur croulant du presbytère. La paroisse rurale la plus éloignée de Paris était soumise à cette règle comme les plus proches. J’ai vu des paroisses demander au conseil le droit de dépenser 25 livres.

Les habitants avaient retenu, d’ordinaire, il est vrai, le droit d’élire par vote universel leurs magistrats ; mais il arrivait souvent que l’intendant désignait à ce petit corps électoral un candidat qui ne manquait guère d’être nommé à l’unanimité des suffrages. D’autres fois il cassait l’élection spontanément faite, nommait lui-même le collecteur et le syndic, et suspendait indéfiniment toute élection nouvelle. J’en ai vu mille exemples.
[…]
Sous l’ancien régime comme de nos jours, il n’y avait ville, bourg, village, ni si petit hameau en France, hôpital, fabrique, couvent ni collège, qui pût avoir une volonté indépendante dans ses affaires particulières, ni administrer à sa volonté propre ses biens. Alors comme aujourd’hui, l’administration tenait donc tous les Français en tutelle, et si l’insolence du mot ne s’était pas encore produite, on avait du moins déjà la chose.

Livre II Chapitre III Comment ce qu’on appelle aujourd’hui la tutelle administrative est une institution de l’ancien régime
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Il faut étudier dans ses détails l’histoire administrative et financière de l’ancien régime pour comprendre à quelles pratiques violentes et déshonnêtes le besoin d’argent peut réduire un gouvernement doux, mais sans publicité et sans contrôle, une fois que le temps a consacré son pouvoir et l’a délivré de la peur des révolutions, cette dernière sauvegarde des peuples.

On rencontre à chaque pas, dans ces annales, des biens royaux vendus, puis ressaisis comme invendables ; des contrats violés, des droits acquis méconnus ; le créancier de l’état sacrifié à chaque crise, la foi publique sans cesse faussée.

Des privilèges accordés à perpétuité sont perpétuellement repris. Si l’on pouvait compatir aux déplaisirs qu’une sotte vanité cause, on plaindrait le sort de ces malheureux anoblis auxquels, pendant tout le cours des XVIIe et XVIIIe siècles, on fait racheter de temps à autre ces vains honneurs ou ces injustes privilèges qu’ils ont déjà payés plusieurs fois. C’est ainsi que Louis XIV annula tous les titres de noblesse acquis depuis quatre-vingt-douze ans, titres dont la plupart avaient été donnés par lui-même ; on ne pouvait les conserver qu’en fournissant une nouvelle finance, tous ces titres ayant été obtenus par surprise, dit l’édit. Exemple que ne manque point d’imiter Louis XV, quatre-vingts ans plus tard.

On défend aux miliciens de se faire remplacer, de peur, est-il dit, de faire renchérir pour l’État le prix des recrues.

Des villes, des communautés, des hôpitaux sont contraints de manquer à leurs engagements, afin qu’ils soient en état de prêter au roi. On empêche des paroisses d’entreprendre des travaux utiles, de peur que, divisant ainsi leurs ressources, elles ne payent moins exactement la taille.
[…]
Je ne crains pas de dire qu’il n’y a pas un particulier qui eût pu échapper aux arrêts de la justice, s’il avait conduit sa propre fortune comme le grand roi, dans toute sa gloire, menait la fortune publique.

Si vous rencontrez quelque ancien établissement du moyen âge qui se soit maintenu en aggravant ses vices au rebours de l’esprit du temps, ou quelque nouveauté pernicieuse, creusez jusqu’à la racine du mal : vous y trouverez un expédient financier qui s’est tourné en institution. Pour payer des dettes d’un jour vous verrez fonder de nouveaux pouvoirs qui vont durer des siècles.

Livre II Chapitre X
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A propos du gouvernement des villes sous l'Ancien Régime :

Au XVIIIème siècle, ce n'est plus le peuple lui-même qui forme l'assemblée générale. Celle-ci est presque toujours représentative. Mais ce qu'il faut bien considérer, c'est que nulle part elle n'est plus élue par la masse du public et n'en reçoit l'esprit. [...]
A mesure qu'on s'avance dans le siècle, le nombre des notables de droit se multiplie dans cette assemblée [...]. L'assemblée contient seulement des bourgeois et ne reçoit presque plus d'artisans. Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu'on l'imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s'intéresser aux affaires de la commune et vit dans l'intérieur de ses propres murs comme un étranger. Inutilement ses magistrats essayent de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le moyen-âge : il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville semblent ne plus le toucher. On voudrait qu'il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d'une élection libre : il s'entête à s'abstenir. Rien de plus commun qu'un pareil spectacle dans l'histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d'abord d'en maintenir les formes : cela s'est vu depuis Auguste jusqu'à nos jours ; ils se flattaient ainsi de réunir à la force morale que donne toujours l'assentiment public les commodités que la puissance absolue peut seule offrir. Presque tous ont échoué dans cette entreprise, et ont bientôt découvert qu'il était impossible de faire durer longtemps ces menteuses apparences là où la réalité n'était plus.

p113-114 de l'édition Folio.
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Nous avons vu comment on bouleversa toute la constitution des villes, non par vue politique, mais dans l’espoir de procurer quelques ressources au trésor.

C’est à ce même besoin d’argent, joint à l’envie de n’en point demander aux états, que la vénalité des charges dut sa naissance, et devint peu à peu quelque chose de si étrange qu’on n’avait jamais rien vu de pareil dans le monde. Grâce à cette institution que l’esprit de fiscalité avait fait naître, la vanité du tiers état fut tenue pendant trois siècles en haleine et uniquement dirigée vers l’acquisition des fonctions publiques, et l’on fit pénétrer jusqu’aux entrailles de la nation cette passion universelle des places, qui devint la source commune des révolutions et de la servitude.

À mesure que les embarras financiers s’accroissaient, on voyait naître de nouveaux emplois, tous rétribués par des exemptions d’impôts ou des privilèges ; et comme c’étaient les besoins du trésor, et non ceux de l’administration, qui en décidaient, on arriva de cette manière à instituer un nombre presque incroyable de fonctions entièrement inutiles ou nuisibles. Dès 1664, lors de l’enquête faite par Colbert, il se trouva que le capital engagé dans cette misérable propriété s’élevait à près de cinq cents millions de livres. Richelieu détruisit, dit-on, cent mille offices. Ceux-ci renaissaient aussitôt sous d’autres noms. Pour un peu d’argent on s’ôta le droit de diriger, de contrôler et de contraindre ses propres agents. Il se bâtit de cette manière peu à peu une machine administrative si vaste, si compliquée, si embarrassée et si improductive, qu’il fallut la laisser en quelque façon marcher à vide, et construire en dehors d’elle un instrument de gouvernement qui fût simple et mieux à la main, au moyen duquel on fit en réalité ce que tous ces fonctionnaires avaient l’air de faire.

Livre II Chapitre X Comment la destruction de la liberté politique et la séparation des classes ont causé presque toutes les maladies dont l’ancien régime est mort
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Au XVIIIe siècle, ce n’est plus le peuple lui-même agissant en corps qui forme l’assemblée générale. Celle-ci est presque toujours représentative. Mais ce qu’il faut bien considérer, c’est que nulle part elle n’est plus élue par la masse du public et n’en reçoit l’esprit. Partout elle est composée de notables, dont quelques-uns y paraissent en vertu d’un droit qui leur est propre ; les autres y sont envoyés par des corporations ou des compagnies, et chacun y remplit un mandat impératif que lui a donné cette petite société particulière.

À mesure qu’on avance dans le siècle, le nombre des notables de droit se multiplie dans le sein de cette assemblée ; les députés des corporations industrielles y deviennent moins nombreux ou cessent d’y paraître. On n’y rencontre plus que ceux des corps ; c’est-à-dire que l’assemblée contient seulement des bourgeois et ne reçoit presque plus d’artisans. Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on se l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux affaires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. Inutilement ses magistrats essaient de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le moyen âge : il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville semblent ne plus le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. Rien de plus commun qu’un pareil spectacle dans l’histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d’en maintenir les formes : cela s’est vu depuis Auguste jusqu’à nos jours ; ils se flattaient ainsi de réunir à la force morale que donne toujours l’assentiment du public les commodités que la puissance absolue peut seule offrir. Presque tous ont échoué dans cette entreprise, et bientôt découvert qu’il était impossible de faire durer longtemps ces menteuses apparences là où la réalité n’était plus.

Au XVIIIe siècle le gouvernement municipal des villes avait donc dégénéré partout en une petite oligarchie. Quelques familles y conduisaient toutes les affaires dans des vues particulières, loin de l’œil du public et sans être responsables envers lui : c’est une maladie dont la France est atteinte dans son administration entière. Tous les intendants la signalent ; mais le seul remède qu’ils imaginent, c’est d’assujettir de plus en plus les pouvoirs locaux au gouvernement central.

Livre II Chapitre III Comment ce qu’on appelle aujourd’hui la tutelle administrative est une institution de l’ancien régime
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