Excellente étude, dont le principal mérite est de révéler la filiation coloniale des politiques publiques de conservation de la nature sur le continent africain, et en particulier en Éthiopie. Ces politiques se traduisent par une violence sociale et politique, menant à des déplacements forcés de population et des drames humains. Institutions internationales, Unesco en tête, ONG et fonds internationaux comme l'UICN ou le WWF, experts internationaux en prennent pour leur grade, de façon très documentée par les fonds d'archives éthiopiens.
Guillaume Blanc a choisi l'environnement car il en est spécialiste, mais un autre champ d'études (agriculture, énergie, culture…) aurait certainement conduit à des conclusions très proches : l'expertise est construite sur un savoir que l'autre, l'expertisé, est censé ne pas avoir. En conséquence, la traduction de ce savoir en pouvoir (en politique publique), ne peut se faire que contre la volonté de cet « autre ». L'expertise étant toujours au service de l'État (éthiopien ici), qu'elle conseille et qui, lui, s'en sert pour légitimer son action, elle se fait donc « contre » les intérêts des habitants de ces espaces.
En somme, le néocolonialisme, la surpuissance et la déconnexion des institutions internationales des réalités locales sont une nouvelle fois démontrées. le deux poids deux mesures également, quand l'agro-pastoralisme est l'ennemi de la nature en Éthiopie mais la raison d'être du classement à l'UNESCO des Cévennes. Elles ne sont hélas pas une nouveauté.
L'essai est radical et renvoie in fine aux raisons pour lesquelles la nature doit être « conservée ». L'auteur veut trouver la raison principale dans le maintien d'un mythe d'origine colonial : l'existence d'un Éden africain, entretenu aussi bien par les institutions internationales que les industries des loisirs ou du tourisme, médias et production cinématographiques en tête.
De mon point de vue, l'ouvrage atteint ses limites en se focalisant trop sur cette raison censée fournir la matrice des recommandations des experts internationaux. Il y perd, et ne s'épargne pas, à chaque étape du récit chronologique, des répétitions. Ce faisant, il laisse complètement de côté d'autres considérations qui auraient pu être importantes : enjeux géopolitiques et lutte de pouvoir (y compris dans la définition des normes de conservation) face à des acteurs nationaux, comme la Chine, ou des acteurs non-étatiques, parfois criminels (braconniers, trafics) ; enjeux de contrôle de territoire et de politique intérieure sur une région (le Simien) qui change de main à plusieurs reprises dans les deux dernières décennies du 20e siècle.
Une autre faiblesse de ce livre, est l'absence d'explication des activités agro pastorales pratiquées dans le parc national du Simien. Incompréhensible alors que l'auteur critique fortement experts et consultants qui n'y passeraient que quelques jours et ne connaitraient pas cet espace. Hormis la mention d'élevage de bovins, de chasse (de « résistance ») à l'ibex, l'auteur n'aborde jamais cette question. Que cultive-t-on sur les hauteurs ou les piémonts ? sur les terrasses ? Les lentilles sont mentionnées une fois en fin d'ouvrage. On aurait aimé en savoir plus.
Enfin, sorti du contexte éthiopien, les généralisations sont pour certaines assez faibles.
Guillaume Blanc sous-entend que les chiffres sur la déforestation en Afrique sont exagérés, affirmant que les populations déboisent et reboisent au gré des activités économiques qu'elles pratiquent. Cette analyse très rapide évacue largement des contextes comme ceux, par exemple en
Côte d'Ivoire ou au Ghana, où il y a réelle déforestation (activités minières notamment), et parfois reboisement… par des cultures de rentes (cacao, palmier, hévéa). Certes, l'homme fabrique des « paysages », et continue à vivre sur place. Mais la satisfaction d'intérêts étrangers, la violence sociale des plantations, est-elle si éloignée de la mise en parcs ?