Découvert avec « Fog », magnifique série policière scénarisée par
Roger Seiter se déroulant à l'époque victorienne,
Cyril Bonin ne cesse de nous surprendre en tant qu'auteur complet par sa façon de tisser des intrigues fantastico-poétiques où le quotidien de ses personnages va être bouleversé par un événement surnaturel…
L'histoire de «
Comme par hasard » se déroule à Paris en 1909, le protagoniste s'appelle Victor Nimas. Il travaille pour la société académique de comptabilité et ce qu'il affectionne ce sont les chiffres. Lorsqu'il rentre chez lui après une journée de travail, il ne laisse pas son esprit vagabonder et se délecte au contraire à réciter les décimales de Pi. Ce cartésien patenté ne croit nullement au hasard pourtant l'imprévisible va s'inviter dans sa vie, mettre à mal ses certitudes et bouleverser son existence réglée comme du papier à musique.
Ici, le fantastique se manifeste grâce au personnage du chat qui n'est pas sans évoquer celui du Cheshire de
Lewis Carroll par son goût pour les conversations philosophiques et ses apparitions et disparitions déroutantes… On l'aperçoit tout d'abord sous la forme bien réelle d'un chat de gouttière jouant dans la rue avec un dé puis il revient sous la forme d'un élégant personnage en costume et haut de forme alors que Victor malade délire…Comme dans tout récit fantastique on ne saurait trancher : s'agit-il d'une hallucination due à la fièvre ? Ou bien s'agit-il de l'incarnation du Hasard qui va venir bouleverser une vie trop bien rangée ?
Comme toujours chez Bonin, le scénario est très écrit et sous son apparente simplicité, fourmille de références. Si le chat semble s'être échappé du « Pays des Merveilles », Victor semble lui sortir du « Joueur » de
Dostoïevski … Et il n'est sans doute pas anodin que l'histoire se déroule pour une grande part dans la ville thermale de Baden-Baden où le romancier russe se ruina à la roulette. Quant à la façon désespérée qu'a l'héroïne de jouer sa vie sur le tapis vert, elle évoque quant à elle une version féminine du jeune homme dont s'éprend la narratrice de «
vingt-quatre heures de la vie d'une femme » de
Stefan Zweig tandis que la valse des sentiments et des intrigues rappelle «
La Ronde » d'
Arthur Schnitzler...
Si le scénario de
Comme par hasard est travaillé, il en est de même pour le dessin. Sous une apparence minimaliste, il est précis, acéré et incroyablement élégant.
Cyril Bonin n'est jamais aussi bon que lorsqu'il nous ramène vers un passé révolu, en costumes, où les femmes sont hiératiques et semblent des sylphides. La ballerine Tania rejoint ainsi la galerie de ses belles héroïnes comme la mutine Léontine. le tout est servi par une magnifique mise en couleurs qui permet de créer toute une variété d'ambiances . On y retrouve la palette de couleurs qu'affectionne l'auteur depuis « la délicatesse » : le marron, le jaune ou le rose agrémentés de vert. le livre en lui-même est un bel objet avec ses rehauts de vernis sélectif et la graphie Art Nouveau du titre. Cet album racé et élégant saura vous faire passer un excellent moment hors du temps grâce au talent -bien réel- de magicien de
Cyril Bonin.