Monet installe son chevalet au bord de l'étang des nymphéas. Il est très tôt, car il veut bénéficier de la même lumière que la veille pour compléter sa toile. Soudain, il constate une différence de nuance dans l'eau : elle est légèrement rosée. Bizarre. Il n'avait pas remarqué cela plus tôt. Les feuilles se sont écartées et une étrange tige noire a fait son apparition. le peintre s'approche. Horreur. Il découvre, flottant entre deux eaux, le corps de sa jeune invitée.
Renée Bonneau est professeur de lettres et a enseigné au lycée de Sèvres, à
Paris. Elle s'intéresse au cinéma, à l'histoire, à la peinture. Quand elle prend sa retraite, elle se met à écrire et un jour, elle a envie de s'amuser en s'attelant à la rédaction d'un roman policier. C'est une visite des merveilleux jardins de Giverny qui lui donne l'idée de sa première enquête, «
Nature morte à Giverny ». Car le live a été publié en 1999, puis, réédité en 2006. le roman que j'ai lu vient de paraître. En effet, il a été revu et corrigé par l'auteur qui dit : « je tenais à ce que mon livre, mon premier roman policier, survécût à l'épuisement de ses deux premières éditions (…) Cette réédition m'a donné l'occasion de revoir mon texte, d'en supprimer des longueurs, au profit d'un récit plus dense et plus équilibré. »
Justement, je venais de lire, avant de commencer cet ouvrage, un carnet d'aquarelles que
Fabrice Moireau a consacré aux jardins de Claude Monet, de sorte que les lieux et les fleurs décrits par
Renée Bonneau étaient bien vivants et présents dans ma mémoire. J'étais passée, ensuite, aux « Enquêtes de Monsieur
Proust » de
Pierre-Yves Leprince, dans lequel
Proust est mêlé à des énigmes policières. Tout comme Monet dans le roman de
Renée Bonneau. Et, autre coïncidence, dans «
Nature morte à Giverny », l'écrivain envoie un mot au peintre pour lui faire part de son désir d'admirer ses fameux nymphéas, une plante qu'il aime, lui aussi. Les lecteurs de son oeuvre s'en souviendront. C'est donc pour relater cette entrevue que
Le Figaro dépêche sur place un jeune journaliste , Robert Fresnot. Ainsi, il aura l'occasion d'assister Louis Berflaut, le policier qu'il a déjà secondé dans d'autres enquêtes.
J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre les multiples rebondissements de l'intrigue, présentée au fil de chapitres souvent très courts, la plupart ne dépassant pas quatre pages.
Mais le mystère à résoudre ne constitue pas le seul attrait du roman. Il y a, bien évidemment, les lieux, ces superbes jardins créés comme une palette par leur illustre propriétaire. J'ai eu l'occasion de les visiter plusieurs fois. Les retrouver comme cadre de cette histoire faisait donc partie des agréments de ma découverte.
Ensuite, il y a les peintres. Monet est déjà âgé. Il souffre de troubles de la vue qui le perturbent beaucoup. Dans l'hôtel Baudy, tout proche de sa propriété, une petite colonie de jeunes admirateurs américains viennent travailler en pleine nature, espérant naturellement croiser le Maître et, qui sait, être invités chez lui, bénéficier de ses conseils. L'auteur leur prête des tableaux qui existent bel et bien et dont elle donne la liste en fin de volume. Ce qui m'a permis de découvrir avec ravissement des artistes que je ne connaissais absolument pas, tels Richard Emil Miller ou Karl Anderson, dont les réalisations sont attribuées aux jumeaux Linley et Stanley Edwards.
La condition féminine est un thème important du roman. Irène Chamançay est brimée, presque cloîtrée par son mari, un militaire despotique et autoritaire. Elisabeth Amberson n'est pas aimée par Donald, un peintre sans talent qui ne l'a épousée que pour son argent et la position de son père, un galeriste réputé. Et puis, il y a Ophélia, qui heurte presque tout le monde. Femme libérée, elle a son franc parler et n'hésite pas à dire ce qu'elle pense sans prendre de gants. Pour couronner le tout, elle méprise les avances de la gent masculine qui bourdonne autour de sa beauté. Elle est attirée par les
femmes, ce qui fait évidemment scandale.
Renée Bonneau ne se limite pas au monde de la peinture. Elle fait allusion à l'Affaire Dreyfus qui a divisé la France en deux.
Quant aux vieux cabotin, Gaston Vieuxville, il organise des récitals poétiques, ce qui permet à l'auteur de citer quelques vers d'
Edmond Rostand,
Victor Hugo,
Verlaine,
Rimbaud et surtout
Baudelaire, dont le comédien récite deux pièces condamnées des « Fleurs du mal », « Les bijoux » et «
Femmes damnées », choquant certains des auditeurs de son public.
Renée Bonneau cite un article du Figaro, ainsi qu'une lettre envoyée par
Marcel Proust à Monet. Mais, si le premier est authentique, la seconde sort de l'imagination de l'auteur qui pastiche avec bonheur son illustre modèle.
Quelques monologues intérieurs ressortent de la narration car ils sont écrits en italiques.
A la fin, elle adresse un clin d'oeil à la reine du roman à énigme : « c'est à ce point du récit qu'on pourrait, comme dans les romans d'
Agatha Christie, réunir dans le salon tous les acteurs du drame pour la scène finale. »
J'ai donc beaucoup aimé cette lecture et j'adresse mes remerciements chaleureux à l'opération Masse critique et aux éditions du nouveau monde qui m'ont donné l'occasion de la découvrir.
Je ne compte pas rester en si bon chemin : j'ai déjà commandé tous les autres romans disponibles de
Renée Bonneau.