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Il est facile de passer à côté de Borges. Il faut s'y retrouver dans les inextricables guerres sud-américaines du XIXème siècle, l'un de ses théâtres préférés. Il faut s'habituer à ses histoires de voyous et de gauchos, où les bagarres au couteau sont omniprésentes. Et plus que tout, il faut s'accoutumer à une certaine forme de sauvagerie et de bestialité d'où, sans qu'on comprenne pourquoi, émergent brutalement des comportements très complexes, comme les restes d'une civilisation enfouie sous la barbarie qui ressortiraient tout d'un coup.

Ce petit recueil d'une dizaine de nouvelles peut donc être assez déstabilisant. La plupart se déroulent dans l'Argentine des années 1850, un pays jeune, à peine indépendant, où les hidalgos et leurs nobles traditions côtoient les cow-boys de la pampa, et une foule de nouveaux arrivés européens misérables. La vie y est dure, et souvent courte. On y est pointilleux sur l'honneur, et les querelles se vident rapidement.

Mais la dernière nouvelle est la plus curieuse. Une sorte de compte-rendu d'exploration, où un pasteur raconte avoir rencontré en Afrique un peuple aux moeurs étranges, cruelles et déstabilisantes. Ils ont un roi, auquel ils coupent pieds et mains et ils crèvent yeux et tympans, pour que le contact avec le monde ne le souille pas. Ils croient à l'origine divine de la poésie, et par conséquent tuent tous ceux à qui l'inspiration fait soudain aligner des mots… le récit se termine par un plaidoyer en leur faveur de l'explorateur, qui souligne que malgré leurs moeurs franchement répugnantes, ils n'en sont pas moins des hommes, ayant mis en place une certaine forme de culture.

Une porte classique pour pénétrer dans l'univers déstabilisant et austère de Borges.
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1970 dans l'oeuvre de Borges marque le retour à la nouvelle avec le rapport de Brodie qui inaugure la progressive fusion entre prose et poésie. L'amour qui clôt l'Aleph refait ici surface (dans l'Intruse) et permet peut-être de comprendre les raisons secrètes pour lesquelles ce thème est toujours resté en retrait dans son oeuvre en prose (un peu moins dans son oeuvre poétique).
Les protagonistes sont fugaces, les traditions détournées, le mystère omniprésent, l'histoire contredite : seule la poésie semble être un pilier générique.
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Nous sommes en 1970. Borges, âgé de 71 ans, est atteint de cécité complète depuis de nombreuses années déjà. Depuis très longtemps aussi (les années 1950), il n'a plus du tout écrit les contes qui l'avaient rendu célèbre, s'étant entretemps voué quasi exclusivement à la poésie, très peu à la prose, essentiellement des textes courts de critique littéraire. LE RAPPORT DE BRODIE marque un retour au genre qui l'avait consacré mondialement comme un des maîtres incontestables de la littérature sud-américaine et du mouvement du réalisme magique en Amérique du Sud, dont il demeure l'icône absolue.

Borges «dicte» LE RAPPORT DE BRODIE en essayant de renoncer volontairement, selon lui, «aux surprises d'un style baroque, ou à celles que prétend ménager une fin imprévue». Aussi, tel un peintre à qui aucun repentir ne serait consenti, refusera-t-il, par principe, toute réécriture visant à «améliorer» sa dictée initiale. Ce serait d'après lui inutile et futile : «avec l'âge, j'ai appris à me résigner à être Borges», conclut-il majestueux.

Le Borges que nous découvrons dans ce recueil de contes se trouve aux antipodes de cet autre, cérébral, onirique et labyrinthique, auteur d'oeuvres emblématiques du mouvement littéraire qu'il avait impulsé en Amérique du Sud, telles Fictions ou L'Aleph, et auxquelles son nom reste profondément associé dans l'esprit de millions de lecteurs à travers le monde. Dans les onze récits qui composent le recueil, son écriture s'empare d'un style beaucoup plus réaliste, ancré dans ses racines porteñas, dans le passé glorieux des héros des luttes qui avaient ensanglanté les eaux de la Plata et les plaines immenses de la pampa à partir de la fin du XVIIIème siècle, dans la culture rurale «gaucho» et dans les légendes créées autour de certains de ses personnages, fermiers, «estancieros», cavaliers, gardiens de troupeaux, «troperos» et bandits parcourant les plaines sud-américaines, autour de leur mode de vie rustique, leur tempérament fier et guerrier, aimant au-dessus de tout la liberté, la solitude et le silence de la pampa.

Nous aurions donc ici affaire, selon la très juste expression d'Olivier Rollin (dans un extrait de l'écrivain français paru dans le Monde en 1999), à un Borges plutôt «créole» que «métaphysique» !
Dans un style d'une très grande sobriété, tiré au cordeau (pour ne pas dire au couteau !) et tranchant (!), j'ai fini par me poser la question, en lisant ce recueil, si quelque studieux de l'oeuvre borgésienne ou critique littéraire spécialisé se serait déjà penché sur la question de ce qui s'apparenterait chez l'auteur à une véritable fascination pour les armes blanches !
A part le conte qui donne titre à l'ouvrage («Le Rapport de Brodie»), d'une facture certes empreinte de violence et de cruauté comme les autres, mais dans un cadre et un style cependant plus proches de ceux auxquels Borges nous avait accoutumés, toutes les autres histoires constituent des variations autour d'un même thème, récits hantés par les rivalités, les accrochages violents, les duels et, surtout, par une coutellerie omniprésente, histoires à couteaux invariablement tirés, où «l'homme provoquait l'homme, le couteau appelait le couteau» ( «L'Autre Duel»), à un tel point que dans certains contes (et notamment dans «La Rencontre») les couteaux semblent devenir des entités à part entière, indépendantes et immémoriales, animées de vie propre et ayant pouvoir de décision, de vie et de mort à la place des hommes qui, parfois malgré eux, finiront par s'en emparer. le monument aurait-il donc lui-même dicté ces histoires à l'état brut, sans révision et relecture, lui-même en vrai lanceur de couteaux visant sa cible sans s'autoriser la moindre hésitation, le moindre écart, la moindre erreur fatale?

D'où exactement viendrait en fin de compte ce Borges «coutelier»? Faudrait-il le croire entièrement, quand après avoir d'emblée déclaré avoir voulu écrire des «récits brefs, d'une langue et d'une forme très simples», comme ceux de Kipling, il admettra pourtant, quelques lignes plus loin, que «il n'y a pas sur terre une seule page, un seul mot qui soit simple, étant donné que tous postulent à l'univers» ?

Pas si simple à appréhender tout ça ! Car ce Borges «cuchilliero», en apparence plus accessible et réaliste (et dont l'on retrouve les mêmes échos et tonalités dans le versant poétique de son oeuvre) reste tout de même aussi mystificateur que l'autre Borges, le «gentleman», érudit bibliothécaire citadin et raffiné ! Dans LE RAPPORT DE BRODIE, il n'est, comme toujours chez Borges, pas aisé de savoir ce qui relève du réel ou de la fiction, il est souvent ardu et peut-être futile de vouloir séparer le vrai du faux, l'historique de la pure imagination : incipits avec lesquels l'auteur, comme à son accoutumée, ouvre un récit par le souvenir d'un évènement «vrai», rapporté ou vécu par une de ses connaissances à lui bien réelle, ou héros de l'indépendance, bandits et gauchos célèbres tels Bolivar, San Martin, Juan Moreira ou Don Segundo Sombra, traités au pied d'égalité avec des personnages de combattants et de gauchos relevant de la pure fiction, nous font conclure que le clivage de personnalité est, fort heureusement, loin d'être «réel» ou, tout au moins, radical chez ce cher et à tout jamais énigmatique Borges...

A un lecteur qui n'aurait pas encore eu l'occasion d'approcher l'oeuvre du grand génie argentin de la littérature du XXème siècle, je ne conseillerais point de commencer par ce livre. Il s'agit, de mon point de vue, d'un ouvrage qui, pour être pleinement apprécié, serait à réserver soit aux lecteurs déjà bien familiarisés avec l'univers borgésien, soit aux amateurs de duels et de «far-west», qui y trouveraient, je pense, pleinement leur compte, dans une version ici dépaysante et «far-south»!


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Jorge Luis Borges nous livre un recueil de très bonne facture sous le signe de la rivalité et de l'affrontement : de la simple joute verbale entre universitaires au duel au couteau en passant par la rivalité amoureuse entre deux frères ou encore la haine réciproque de deux voisins amenés par un hasard pathétique de l'histoire à finir exécutés pour le même drapeau et j'en passe.

Si les récits sont d'une qualité indéniable et que ce livre nous révèle quelques pépites (l'intruse, l'évangile selon Marc), je leur préfère néanmoins les textes issus de l'Aleph et de Fictions chez le même auteur.
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Un recueil de contes macabres où les armes ont une mémoire, où les hommes sont orgueilleux, où les femmes sont des objets.
Un recueil d'histoires du passé où le temps a une place importante, le temps de l'enfant qui s'égraine lentement, le temps du duel, trop fugitif parfois, la temps du grand âge où l'histoire est floutée et où seule demeure une momie du passé.
Un recueil de nouvelles qui donne le ton d'un lieu où encore récemment le duel était à la mode, duel de paroles, duel de peinture, duel de poignards ; duels qui oscillent entre amour et haine, entre passé et présent...

Pas mal du tout si on fait abstraction des lieux et des noms célèbres qui font partie de l'histoire et de la culture d'Argentine qui ne fait pas partie, malheureusement, des pays étudiés par chez nous, du moins de mon temps.

Une plume riche et poétique qui ne m'a pas laissée indifférente ; une lecture intéressante finalement même si le format « nouvelles » n'est pas vraiment ma tasse de thé ;-)

J'ai beaucoup aimé « La rencontre » et « L'évangile selon Marc », deux contes à ne pas raconter aux enfants à la veillée de Noël...
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De plaisantes retrouvailles.

Après avoir lus (dans cet ordre) Fictions (1944), le Livre de sable (1975) puis L'Aleph (1949), je retrouve avec plaisir le style si particulier des nouvelles de Borges. Je pourrais presque parler de procédé littéraire, et j'ai souvent eu l'impression, soit de lire une nouvelle version d'un autre récit, soit d'une construction que j'avais déjà rencontrée sur un récit différent. Curieusement, ce qui chez un autre pourrait agacer procure ici un agréable sentiment, presque de confort : on retrouve la prose de l'auteur comme on se glisse avec aisance dans un vêtement si souvent porté qu'il s'est conformé à notre morphologie. Ainsi de ces courtes introductions, qui, sous prétexte de donner l'origine du récit, sèment en fait le doute sur ces mêmes origines et souvent sur la réalité des faits : "On dit (mais c'est peu probable) que cette histoire fut racontée par Eduardo...", ces détails qui n'apportent aucune véritable information, "ce qui est certain c'est que quelqu'un l'entendit raconter par quelqu'un au cours de cette longue nuit dont le souvenir s'estompe", et ces manuscrits improbables et incomplets, trouvés dans des ouvrages réels ou fictionnels minutieusement décrits (Le rapport de Brodie). Je ne peux m'ôter de l'idée que Borges s'amuse en écrivant, même s'il précise dans la postface que ces nouvelles tiennent "plus de la découverte que de l'invention délibérée", que poèmes ou contes viennent à lui : "je n'interviens pas, je le laisse faire ce qu'il veut". Une chose est certaine, j'ai lu ces nouvelles le sourire aux lèvres. Il me semble qu'elles sont plus facilement accessibles que celles de Fictions, qui, malgré leur aspect sybillin et leur étrangeté, ou peut-être à cause de ceux-ci, restent mes favorites.


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Dans ce recueil de nouvelles écrites entre 1953 et 1970, le génial écrivain argentin, alors "homme de métier, au seuil de la vieillesse" selon ses propres mots, s'essaie à une nouvelle écriture. Comment ? En s'inspirant, dit-il, des premiers contes de Rudyard Kipling, qualifiés de laconiques par l'imitateur — c'est un compliment.
L'entreprise réaliste, ici, contient à mon sens des bribes de mythes et, surtout, la poésie.
=> Chronique complète sur mon blog :
Lien : http://notesvagabondes.wordp..
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Sous les influences des contes de Kipling, de Kafka et de Henry James, le rapport de Brodie est le quatrième recueil de nouvelles de Jorge Luis Borges, publié en 1970. Moins cosmopolites que celles du Livre de sable, les onze nouvelles de ce livre se déroulent en Argentine, entre la fin du dix-neuvième siècle et les années quarante.

Sommet de ce recueil, « L'évangile selon Marc » nous raconte l'histoire de Baltasar Espinosa, étudiant en médecine de trente-trois ans d'une bonté presque illimitée, qui va passer l'été dans une ferme à la campagne chez son cousin Daniel. le cousin étant parti à la ville, le héros se retrouve bloqué dans la ferme par des inondations, en compagnie du métayer et ses deux enfants, trois péons vigoureux et analphabètes. Pour occuper les longues veillées, il va entreprendre de leur lire l'Évangile selon Marc, dans une Bible dénichée au cours de ses explorations de la maison.

« Il s'étonna d'être écouté avec attention puis dans un silence plein d'intérêt. Peut-être que les lettres d'or sur la couverture du livre lui conféraient plus d'autorité. Ils ont cela dans le sang, pensa-t-il. Il se dit aussi que les hommes, au cours des âges, ont toujours répété deux histoires : celle d'un navire perdu qui cherche à travers les flots méditerranéens une île bien-aimée, et celle d'un dieu qui se fait crucifier sur le Golgotha. Il se rappelait ses cours de diction rue Rampo Mejìa et il se levait pour lire les paraboles. »

Dépouillant le texte de toute complexité, Borges recherche l'épure. Les nouvelles sont inégales mais peu importe car les plus fortes sont inoubliables.
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Dans ce troisième recueil de nouvelles, Borges n'a plus l'inspiration de Fictions ou de l'Aleph, leur logique implacable, leur vertige de l'identité, leur réalisme magique. Les années 70 ne sont plus celles de Caillois, ami, poète et traducteur, mais celles de Pinochet, et j'espère que ce patronage n'influence pas ma critique. On y sent la recherche d'une complicité au travers d'un cynisme total, semé de perles. Borges cadre ses homicides au plus juste, jouant d'une banalité trompeuse, faisant mine d'hésiter, de douter des faits ou de leurs sources, et cela bien que la mécanique de ses contes soit impeccablement enclenchée. C'est un livre habile et non plus inventif, qui s'adresse au connaisseur. Un florilège de sa nouvelle touche :
« Les chevaux, les harnais, le couteau à lame courte, les habits fastueux de samedi soir et l'alcool querelleur étaient leur seul luxe » (p 16).
« J'ai grandi dans le quartier de Maldonado, au-delà de Floresta. C'était un sale dépotoir qu'on a eu la bonne idée de combler. J'ai toujours pensé qu'on ne doit pas arrêter la marche du progrès. Enfin, chacun naît où il peut » (p 40).
« Juan Murana fut un homme qui déambula dans des rues qui me sont familières, qui sut ce que savent les hommes, qui connut le goût de la mort, qui fut ensuite un couteau, puis le souvenir d'un couteau et qui demain ne sera plus qu'oubli, l'habituel oubli » (p 72).
« Elle n'avait jamais été sotte, mais elle n'avait pas goûté, que je sache, aux joies intellectuelles ; du moins lui resta-t-il celle qu'offre le mémoire et ensuite celle de l'oubli » (p 80).
« Je présume qu'au ciel les bienheureux pensent que les avantages de leur situation ont été exagérés par les théologiens qui n'y ont jamais mis les pieds. Peut-être en enfer les réprouvés ne sont-ils pas toujours heureux » (p 95).

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Parmi les onze nouvelles de ce recueil, celles que j'ai le plus appréciées sont: Histoire de Rosendo Juarez, raconté du point de vue d'un improbable assassin. La rencontre, une rixte qui finit mal entre deux hommes, où l'on se demande si ce sont les hommes qui combattent à travers les armes ou les couteaux qui s'affrontent à travers les hommes. La rapport Brodie est étrangement trop familier et trop surréaliste en même temps pour mon goût. Enfin l'Évangile selon Saint-Marc est probablement la nouvelle dont l'intérêt de lecture demeure le plus élève de toute les nouvelles. Fictions me semble un recueil de nouvelles de très loin supérieur à ce livre. Peut-être est-ce parce que je viens de lire de nombreuses nouvelles dans le style du réalisme magique ? Les histoires de Borges demeurent un peu en retrait de ce genre littéraire et manque de satisfaire mon goût du fantastique. Mais c'est une évaluation que je fais dans la maturité, Borges m'avait éblouis à 20 ans. le temps,et son traitement dans chaque nouvelle, est finalement l'un des aspects qui concourent à donner une étrange profondeur à ses nouvelles et c'est ce que j'ai bien apprécié
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