Par Christophe Fourvel- Centre régional du livre de Franche-Comté
Les Figurants est la chronique d'un homme aux prises avec les bris coupants d'une adolescence tardive, le célibat, le voyage, la précarité professionnelle choisie ou subie comme une fausse preuve de sa liberté d'adulte. le narrateur n'ignore rien de ses impasses. Il possède même toute une théorie sur les erreurs d'aiguillage que lui et pas mal de ses congénères subissent dans le début de ligne droite que constitue la trentaine, après les faciles virages des premières années de l'âge adulte. Ainsi, concernant le thème éminemment central de sa relation avec les femmes, il bute sur les pièges de la période d'essai, et empile les « C.D.D amoureux », n'accédant jamais à ce qu'il nomme « le temps de l'élaboration » : phase nécessaire, selon lui, pour qu'une relation devienne stable et qui coïncide sans doute avec la période de la complicité sexuelle sans la lassitude, des sorties de douche sans rentrer le ventre et des copains qu'on voit moins sans s'en rendre compte. Convié comme il le dit avec humour par le « Ministère des affects », à comprendre les caractères furtifs et versatiles de la relation amoureuse contemporaine, il met en avant une corrélation entre précarité professionnelle et amoureuse, petits boulots et petites relations, puis des mécanismes plus complexes tel que la coïncidence jamais atteinte, qu'il développe entre l'ombre cafardeuse de
Houellebecq et la finesse combative de
Bernard Stiegler. La petite tristesse qui court le long de ce livre vient du sentiment que le rôle est écrit, qu'il n'y a rien à inventer et que nous sommes nombreux à prêter notre carcasse désirante aux seconds plans du grand scénario planétaire. L'humour, quant à lui, tient sans doute au fait que sans la gêne existentielle, il n'y aurait pas de plaisir. Car le narrateur a beau partager la névrose de la boule de flipper, promise à sa chute finale et ballottée au gré des bumpers, il trouve un certain plaisir à rebondir de femmes en femmes (Mélanie, Marion et celle qu'il nomme L'écureuil) ou sur des projets conviviaux (comme ouvrir avec deux copains une boutique de restauration rapide qui s'appellerait « Croque la vie »).
Il s'agit là du troisième roman de l'auteur, professeur de philosophie et nomade, dont les attaches se situent du côté de Bordeaux. Et il nous tarde de lire ses prochains livres, car
Stéphane Boudy est un écrivain qu'on est curieux de regarder vieillir. À la manière de quelques héros anciens de littérature jeunesse, qui passait de roman en roman du jeu de bille aux grands émois amoureux, on souhaite le voir se coltiner les grandes questions des âges à venir : la paternité, la crise du milieu de la vie, le démon de midi, la cinquantaine, la retraite, le départ des enfants de la maison familiale. Ça devrait aider pas mal de gens.