Citations sur Le train zéro (32)
"Fais attention à toi, ma fille.
- Ne t'inquiète pas, papa. Ils disent que je devrais faire des études dans une école. Peut-être même à Moscou."
Il fronça les sourcils, réfléchit longtemps, pesa le pour et le contre. Il comprit qu'il ne pouvait pas la retenir. D'ailleurs à quoi bon? Moscou était loin de la Ligne, de l'enfer, du poison, de la drogue qui, sans qu'on s'en rende compte, s'infiltre dans l'âme et tue les hommes, ou leur enlève la raison. Autant qu'elle aille à Moscou.
"Bon, vas-y. Mais ne nous oublie pas, d'accord? Et fais attention à toi, d'accord ?"
Goussia pleura comme une fontaine quand Alionka s'en alla. Ivan souffrait d'un mutisme qui l'empêcha jusqu'au bout de dire à sa fille quelque chose d'important. Il avait peur des mots.
- Papa… A quoi est-ce que tu rêves ?
- A rien. Je suis comme les chiens : j’aboie, je bouffe, et je retourne à ma niche.
(p109)
Il était là, debout à la fenêtre, à regarder Fira, dont la vie s’en allait de cette maison objet après objet, chiffon après chiffon, photo après photo, et s’entassait précipitamment dans un énorme camion éclaboussé de boue, pour disparaitre à jamais, pour toujours, pour les siècles des siècles, et tenter de se greffer quelque part, là-bas, au loin, sur une existence nouvelle qui lui serait probablement étrangère. (p8)
Il y a des gens qu'il est impossible de mettre à genoux pour une bonne raison : ils ont toujours été à genoux.
Sa vie, elle ne l'avait pas vécue, elle l'avait mâchouillée. Elle l'avait dormie, rêvassée.
Pas le temps d’être fatigué. Pas le temps de penser non plus, d’ailleurs. Les pensées, ça fatigue plus que la masse. Ça brûle l’homme de l’intérieur. Ça brûle les forces. Or, il faut bien vivre. Ça passe avant tout, ça - vivre. Le reste suit. Si encore il existe, ce reste. (p69)
« Les Juifs s’en vont ! » cria-t-il dans le vide sonore de la maison et, ayant attendu en vain une réponse, il retourna à la fenêtre. « Les Juifs s’en vont toujours. Il n’y a que des idiots comme nous pour rester. »
D’ici, il distinguait bien les hommes et les femmes courbés sous le poids des bagages – maintenant, ce n’étaient plus des affaires, des biens, ce n’étaient plus les hardes accumulées par la vieille Fira en quarante années et quelques de vie à la station, c’étaient juste des bagages, le barda d’une réfugiée, d’une passagère, qu’elle crève ! –
(Incipit)
- Mais on a déjà fusillé quelqu’un ! Ou alors, c’est des bobards ?
Le colonel haussa négligemment les épaules.
« Ça, c’est à tout hasard. Si on pose la question, on a déjà fait ce qu’il fallait. Histoire d’assurer nos arrières. On a trouvé les ennemis, on les a jugés et on les a punis. Sur le papier, tout est en ordre. Mais la quête de la justice continue. On cherche la vérité. Et on la trouvera. Tu peux en être sûr. »
Il n’en doutait pas une seconde. Il devinait même pourquoi, cette vérité, c’était chez Fira Landau qu’on la cherchait, et il s’en ouvrit franchement au colonel :
« Cette vérité, tu irais bien la chercher sous ses jupes, hein ? C’est bien là qu’elle est, ta vérité, non ? » (p76)
L’espoir, c’est du poison. Elle avait absorbé trop d’espoir.
(p31)
Il avait trahi son fils. Il l’avait livré aux d’étrangers qui, pris tous ensemble, s’appelaient la Patrie. La Patrie, c’était les autres. C’était pour ça qu’elle était terrible, incompréhensible et sacrée. Comme tout ce qui est étranger. Comme lui pour lui-même. (p21)