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3,91

sur 93 notes
Une vraie claque.
Une trace qui va rester, le long de cette voie ferrée : un livre qui pourra être relu encore et encore.
À la fois familier dans ses thèmes — on pourrait convoquer Volodine, Julien Gracq, Buzzati, Beckett, etc. — traités avec une plume explosive, constamment en apnée; mais qui donne aussi l'impression d'une contrée inconnue, sauvage, terriblement russe… le post-exotisme revenu vers ses terres de naissance supposée. La fin d'un monde qui n'en appelle pas de nouveau. Un désespoir dont l'énergie s'en serait allée, au bout de cette voie ferrée.

Le titre original, « Don Domino », rapport au surnom du personnage central, a été transformé avec le traduction en « Le train zéro », ce qui apparait plus pertinent, tant ce train incarne le vrai pivot du livre (interrogation au passage sur ces choix, que personne ici n'expliquera). Il passe, et c'est tout ce que nous devons savoir.

L'histoire fait des aller/retour dans cette temporalité sans repère. Les personnages se brouillent jusqu'à leurs prénoms, pièces interchangeables d'une machine broyant les âmes et les corps, jonglant avec les émotions du lecteur devant leur absente présence.

De la pure littérature russe, indispensable, pour le béotien comme pour le spécialiste (voir le très beau billet de michfred pour ceux qui en doutent encore).
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"Le besoin spirituel le plus élémentaire du peuple russe est la nécessité de la souffrance", disait Dostoïevski. En très peu de pages, « le train zéro » nous offre un concentré de l'âme russe. Dès son titre, il nous intrigue : Désigne-t-il le train par lequel tout commence, ou bien un train qui compte pour rien ? Qu'en serait-il alors des vies qui y sont rattachées ?
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Dans une gare perdue au fin fond de la Russie, un lieu que l'on croirait créé pour les exilés et les punis, vit Don Domino. Très tôt orphelin de parents dits « traîtres à la Patrie », on lui confiera pourtant les clés de cette gare du bout du monde, afin d'en assurer le bon fonctionnement. Sa mission principale : permettre chaque nuit le passage du mystérieux « train zéro », dont personne ne sait ni ce qu'il contient, ni sa destination. Pour cela, une véritable ville est construite autour avec sa scierie, son bar, ses mécaniciens, ses prostituées… Et ses habitants comme Don Domino, qui semblent avoir été posés là comme des playmobiles au gré des dirigeants du pays, pour vivre la vie qu'on leur a attribuée. Les ordres sont donnés, on obéit, au nom de la Patrie. Et l'on est fier de se voir confier un rôle, même si on ne le comprend pas tout à fait (ce train sert-il vraiment à quelque chose d'autre qu'à occuper et asservir une poignée de gens encombrants ?), qu'il ne nous comble pas tout à fait, et qu'il menace de nous abrutir, sinon de nous tuer à la tâche. Promotion ou punition ? C'est en vivant avec les personnages que nous nous forgerons notre opinion. Plus exactement, c'est grâce à une narration au plus proche des pensées et souvenirs de Don Domino que nous tenterons de reconstituer ce qui se trame ou s'est tramé dans cette gare. Car aujourd'hui, elle semble avoir été désertée par tous sauf lui…
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Les bribes de temporalité éparses nous font rapidement comprendre que, comme nous, les habitants sont rongés par la curiosité ; Une fois passée la satisfaction de s'être vu attribuer un travail et un toit, la rudesse d'une vie de peu de plaisirs autres que le bar et l'amour finit par questionner le sens de cette vie : certains se demandent où va ce train, si la vie y est meilleure, ou s'ils contribuent à quelque chose d'inavouable ou au contraire de merveilleux, puisque secret. Est-ce que ça a du sens de se contenter d'obéir aveuglément sans savoir de quel tout nous faisons partie ? Pour Don Domino au départ, son existence a du sens puisqu'on lui a donné un rôle à tenir. Mais à l'usure, est-ce suffisant ? Presque tous, les uns après les autres et comme une contagion, deviendront finalement obsédés par la question de savoir ce que contient ce train et où il va. Ils sont de plus en plus nombreux à songer à suivre les rails jusqu'au bout pour avoir enfin le fin mot de l'histoire. Ne pas savoir les rend fous, mais le fait de savoir les délivrera-t-il du mal ou, au contraire, celui-ci finira-t-il de dévaster leurs âmes brûlées par le froid ?
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On retrouve en cela la problématique toute chrétienne de l'obéissance aveugle à un ordre donné, de la curiosité, du savoir et de la souffrance. Finalement, Don Domino et les autres ne sont ni plus ni moins que Eve, devant le fruit défendu. Et de la même manière que l'on se demande où va ce train et le sens de cette mission, on se demande également où va le monde et quel est le sens de nos vies, de nos actes, de nos obligations et de nos devoirs. Un train qui file devant les personnages comme la flèche du temps de leur vie qui défile, faite de larmes et de sang quand ça déraille, mais que quelques épiphanies rendent la plupart du temps supportables. Qu'y a-t-il au bout : le paradis ou l'enfer ? Y a-t-il seulement quelque chose ou rien ? A-t-on vraiment besoin de savoir qu'il y a quelque chose derrière tout ça, un sens extérieur plus grand que nous ? Ou n'est-on pas plus heureux sans savoir ? Ne peut-on pas décider comme Don Domino que, peu importe ce qu'il y a après, le véritable sens de nos vies est de les vivre, tout simplement ?
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Ce minuscule et captivant roman transcende ces questions pour nous plonger dans une ambiance ouvrière de houille, de chou, de stupre et de labeur qui, à elle seule, vous happera pour ne plus vous lâcher jusqu'à la fin. Eclaté en temporalités multiples au gré des pensées et souvenirs de Don Domino, le récit est brillamment recousu par les rails du train zéro, qui les relie de son inlassable passage comme un éternel recommencement. Gare ! La Lison de Zola n'a qu'à bien se tenir !
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Un soir, un train.. .filer comme un train dans la nuit...la Lison de Zola et ses terribles sautes d'humeur de Bête Humaine...les wagons plombés de Nacht und Nebel...ou ceux des purges staliniennes qui emmènent au Goulag - le train comme métaphore du temps qui passe , des vies qui s'usent, de la mort qui attend..

Le train est une figue marquante de la modernité , figure inquiétante, morbide, mystérieuse. ..

Mais on peut aussi changer de point de vue, et en partant du point fixe de la gare et du quai,- l'avers statique de l'impitoyable cinétique ferroviaire -, considérer, par exemple, les Aiguilleurs de Pinter, assignés à résidence dans une gare où, absurdement , ils exécutent des tâches sans fin et sans justification, comme des Didi- Gogo faits cheminots , dans l'attente d'un Godot ...duraille..

Avec le train, à la fois unique et ponctuel, le thème de l'attente devient inepte, et toujours renouvelé, pour celui qui est rivé au quai, frère de Drogo rivé au Désert des Tartares, où d' Aldo guettant à s'en user les yeux, le rivage des Syrtes ...

Ils sont inoubliables ces hommes-serfs, attachés au rail comme on l'était autrefois à la glèbe, tous ces "sombres héros de l'amer " que, finalement , "le vent emportera"...

En 126 pages brillantes, cinglantes, enlevées, Iouri Bouïda, vient de donner un étonnant coup de jeune à ce motif des temps modernes devenu presque un cliché, en offrant une version post stalinienne, kafkaienne en diable, (entre fable politique, conte philosophique et récit fantastique), de ce chef -de -gare -qui -regarde- passer -les trains...

Et pas n'importe quel train: le Train Zéro, cent wagons plombés, blindés, aveugles, quatre locos, deux devant, deux derrière, ric-rac, sans anicroche.

D'où il vient, où il va, ce -ou ceux - qu'il transporte, nul ne le sait. Nul ne doit chercher à le savoir.

Ni les cheminots ni les chefs de gare successifs, ni leurs épouses sans enfants, ni les maîtres-chiens qui gardent les voies ..(et les explosifs pour le cas où), ni les femmes-troufions, ces putes officielles de la Ligne, ni les colons juifs du village avec leurs belles femmes, guettant avec anxiété le prochain pogrome, la future disctimination qui fera d'eux, une fois encore, des Juifs errants....

Non, nul ne doit chercher à savoir, pas même "Don Domino", Ivan Ardabiev, le sombre héros de ce récit, qui a trouvé dans la station Huit de la Ligne un sens rédempteur à sa vie de fils-d'ennemis -de- La -Patrie...

Le train zéro passe à minuit, en trombe, sur sa Ligne unique et personnelle, toute à sa dévotion. Il passe, et c'est l'événement nocturne qui donne sa justification au jour qui vient.

Comment dire mon enthousiasme? le livre est arrivé à midi, je ne l'ai pas lâché qu'il ne soit fini. Il m'a hantée toute la nuit-j'habite à côté d'une gare, en travaux tous les week-ends, merci la SNCF...ça aide!

Je n'en suis pas encore revenue, et comme mon camarade DanD, je me verserais bien une vodka-herbe-de-bison pour noyer mon angoisse existentielle...

Un VRAI chef d'oeuvre!

Une structure savante mais invisible ( le suprême chic!) , toute en retours en arrière imbriqués les uns dans les autres, dans un désordre apparent, mais qui progressivement s'ordonne -avant la mort d'un tel, après la disparition d'un tel, avant le suicide de, après l'assassinat de, - il y a du sang et des larmes sur La Ligne!- une structure pleine de ruptures salutaires dans un récit qui, s'il avait été linéaire, aurait perdu tout son sel, toutes ses surprises.

Peu à peu se dessinent et se précisent les silhouettes cocasses, tragiques ou touchantes de ce petit peuple d'esclaves du rail, comme se complexifie le réseau de leurs rapports.

Les dialogues sont vifs, colorés, charnels. L'humour , cette politesse du désespoir, va bien au teint de cette noire parabole...sans aucune de ces lourdeurs démonstratives, qui surlignent d'ordinaire une allégorie. Le recit flirte avec tous les tons, mais reste néanmoins dans un réalisme bon enfant...jusqu'à ce que tout ..déraille!

On ne s'ennuie jamais -ceci pour rassurer ceux que le motif de l'attente transformerait en fauves impatients! Rien- sauf le train de minuit- ne passe mais tout arrive, entre ces traverses , ces réservoirs , ces rails , ces bâtiments sans âme.

J'ajoute, bien que je ne sois pas russophone , que c'est remarquablement traduit par Sophie Benech, et qu'on découvre, aussi, un style! Percutant!

Cinq étoiles- rouges, bien sûr ...mais j'en aurais accroché bien plus , constellant ce train-là d'un nombre de médailles équivalent à celui qui ornait les redingotes de quelques vieux apparatchiks, dans un temps où les trains zéros n'étaient pas un récit romanesque..
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Ce livre est un pur chef d'oeuvre dans son genre. J'ai adoré. Il fait partie de ces textes courts (126 pages) dont la charge implosive vous met à genoux et vous laisse pantelant, vous savez, le genre de bouquin avec lequel, dès vous le commencez, vous pressentez que vous allez vous manger une baffe, sans parvenir identifier d'où le coup va partir, ni quand…

Ivan Ardabiev observe avec dépit le départ d'une habitante de la station 9, une gare sortie de terre au fin fond d'un no man's land, pour qu'un train passe. le train zéro. Deux locomotives à l'avant, deux locomotives à l'arrière, cent wagons bouclés et plombés, et dans chacun d'eux, soixante-quatre tonnes de mystère, de secrets. D'où vient-il ? Où va-t-il ? Que transporte-t-il ? Ivan, comme tous les hommes et les femmes affectés à la station 9, n'ont pas à le savoir. Savoir, ne pas savoir, qu'est-ce que cela change ? Leur rôle est de garantir son passage sans poser de questions. Et chaque jour, à minuit tapante, ils scrutent l'arrivée du train.

Tout au long de la lecture, j'ai eu l'impression de marcher sur un lac gelé, d'entendre la glace, dolente, craquer sous le poids de mes pas, de la voir onduler devant moi. Se brisera-t-elle ? Résistera-t-elle ? Une atmosphère très Kafkaïenne plane sur ce livre. Avec Ivan, nous sommes plongés sans ménagement dans une attente aux odeurs de choux et de créosote qui confine au non-sens, dans une vie qui s'organise, résiste, survit, ploie dans l'ombre de l'attente du train zéro.

Je crois bien être passée par tous les états émotionnels, de l'incompréhension à la révolte, en passant par l'indignation et quelques instants de tendresse arrachés à une existence absurde.

La construction en forme de va-et-vient entre les souvenirs d'Ivan et le présent est remarquable et concoure à créer un climat hors norme, un peu comme un regard circulaire qui s'attarde d'un objet familier à un autre sans rupture. Moi, qui suis souvent déstabilisée quand on joue avec les lignes temporelles, là, je ne l'ai pas du tout été. C'est d'une fluidité déconcertante.

Je n'ai même pas une petite broutille un peu plus négative à formuler, ce qui est plutôt rare de ma part. C'est un livre percutant, hypnotique, troublant, désespéré à l'écriture brute, d'un réalisme presque surréaliste, aux dialogues qui font froid dans le dos (je pense notamment à ceux avec le colonel roux), et qui ne manque pas de susciter des questionnements. Avec ce train zéro, gare à l'effet de souffle ! Coup de coeur.
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Le train zéro (Дон Домино, 1994) est un court roman que j'ai repéré dans la « Bibliographie des textes fantastiques et de science-fiction de Russie et des pays de la CEI traduits en français » de Patrice Lajoye. Il a été nominé pour le prix Booker en 1994.

Voici un texte très dense, je ne sais pas très bien comment en parler...

Pour commencer, j'ai beaucoup aimé l'écriture de Bouïda empreinte d'images très fortes.

« Dites-donc, les gars, il y a quelque chose qui cloche dans vos cerveaux, dans vos âmes grignotées par la moisissure, dans vos nerfs ramollis à force d'avoir servi. »

Ensuite, l'histoire. Une gare au fin fond de la Russie, mais on ne sait pas où. Un train qui passe tous les jours à la même heure. On ne sait pas d'où il vient, où il va, ni ce qu'il transporte.

À mon sens, ce train symbolise le sens de la vie dans sa version pessimiste où l'espoir est un poison.

L'auteur nous invite à suivre Ardabiev (alias Don Domino) et toute une série de personnages qui luttent pour survivre dans un univers brutal et absurde où la mort rôde en permanence.

Pour finir, je ne sais pas très bien comment interpréter la fin quand mais cela reste une très bonne lecture.




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Angoisse, doute, on vogue entre mystère, rêve ou cauchemar, réalité abrupte et cruelle ; un mirage, une hallucination ce train zéro ? Comme les protagonistes de cette histoire on ne sait plus qui l'on est vraiment, où l'on va, où l'on est mené mais on se laisse embarquer car ce livre est d'une telle force que l'on ne peut le délaisser avant la fin.
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D'où vient-il ce train zéro ? Où va-t-il ? Que transporte-t-il ? Mieux vaut ne pas poser de questions. Il faut le faire rouler un point c'est tout, sans anicroche. Ric-Rac-Compris ? le camarade colonel roux aux yeux bleus ne cesse de le lui répéter. Lui c'est Ivan Avdabiev alias Don Domino. Ses parents étaient des ennemis du peuple. Il a été élevé dans un orphelinat. La Patrie l'a élevé, nourri, instruit. La Patrie lui fait confiance, particulièrement confiance. Il n'a ni passé, ni avenir, ni même de présent. La Patrie l'a envoyé là et il y a passé sa vie. le train zéro, c'est lui.
Dans ce livre court, dense et éprouvant, le lecteur est dans l'attente qu'il se passe quelque chose. Pendant des années et des années, Ivan et les autres membres de cette colonie pénitentiaire ont attendu le passage du train zéro. On comprend vite en suivant le cheminement d'Ivan que les personnages sont prisonniers de ce train absurde. L'allégorie kafkaienne/Beckettienne se mêle de détails ancrés dans la réalité stalinienne de l'après-guerre. Et on pense aussi immanquablement aux trains nazis emmenant les déportés vers la mort. Iouri Bouïda , né en 1954, soit un an après la mort de Staline, a passé son enfance à Znamensk, un territoire de Prusse-Orientale annexé par l'Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale. La plupart des habitants, des Allemands, ont été déportés en Allemagne pour laisser la place à des colons russes. La misère est omniprésente, l'ivresse de l'oubli, les filles à troufions. L'histoire d'Ivan est dure, l'atmosphère suffocante. Un livre qui ne vous laisse pas indifférent.
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Iouri Bouïda est un écrivain reconnu de la littérature russe contemporaine, lors d'une interview il déclare avec un humour cinglant : « ma patrie a un présent russe et un avenir humain. »
« le train Zéro » est son premier roman à être traduit en français en 1998.
Symbole, dans ce roman « le train Zéro » traverse la station 9, à minuit pile, dans une course infernale, quelque part dans le nord de la Russie. Ivan Ardabiev ouvrier de la station se souvient et raconte. Son récit mêle fantastique, merveilleux et faits réels de l'histoire de la Russie. le tout donne un roman allégorique violent et hallucinant que l'on lit en retenant son souffle !
Dans ce petit village temporaire, édifié pour la construction et l'entretien de la ligne, toute l'énergie et la vie des habitants sont concentrées autour du train. Ce géant de fer les intrigue et les angoisse mais tous viennent voir passer, le monstre fantôme, ce train de « cent wagons aux portes bouclées à mort et plombées, deux locomotives à l'avant, deux à l'arrière – tchouk-tchouk... hou-ou ! Cent wagons. Lieu de départ, inconnu. Lieu de destination, secret. On tient sa langue »
Pour le « train zéro » tous s'affairent ce sont les ordres, on ne doit pas poser de questions, chercher à comprendre de toute façon « tu n'existes pas, moi non plus, il n'y a personne, nous ne sommes tous que l'ombre de la Ligne, l'ombre d'un ordre, si tu veux – l'ombre de l'avenir. Cet ordre dont beaucoup rêvent, il ne viendra jamais. »
Ce récit dans la pure tradition russe est une métaphore de l'enfer stalinien, du régime totalitarisme qui déshumanise et broie l'homme. Ardabiev tente de résister, de lever l'énigme, de se révolter… « Il y en avait tant, là, comprimé à l'intérieur, cela faisait une telle masse qu'il suffisait d'une étincelle pour y mettre le feu, pour tout faire sauter, tout faire voler en éclats. » Avec un cri de désespoir se peut-il qu'il sorte de la masse ? La liberté est-elle possible ?
Ce récit sombre, avec pourtant sa part de romantisme, est récit fort et puissant, c'est un roman de la tragédie humaine où les personnages sont d'une densité exceptionnelle. Un vrai coup de coeur pour moi.




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Petit roman court, profondément désespéré, à l'image du cinéma des pays de l'est que je suivait dans les années 80, un univers de boue, de neige crasseuse, de cabanes en bois, de trains qui ne s'arrêtent pas, des personnages perdus, peu bavards, qui vivent de peu, sans avenir, sans espoir, une vie triste et morne. Il sont une petite communauté, installée par le pouvoir, une liberté restreinte, certains sont des enfants de déportés, on leur fait croire que la souillure de leurs parents est effacée par leur sens du devoir, de l'abnégation. Ils ont à leur charge la surveillance d'un tronçon de voie de chemin de fer, une ligne unique avec un train aux wagons scellés qui passe régulièrement, au contenu mystérieux, et on ne cherchera pas à savoir. La critique politique de la société soviétique complètement kafkaïenne est bien présente mais jamais affronté de face. Iouri Bouïda décrit des gens qui ont appris à se taire, perdu dans un milieu hostile, dans un silence qui rend fou. L'écriture par son rythme lourd et pesant en dit presque plus que son contenu.

Le train zéro est un roman désespérant et pourtant majestueux par sa force, intense par ses silences, dur et violent par cette attente cruelle, c'est russe quoi…
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« Le monde kafkaien de l'union soviétique »... Une phrase qui sonne bien et revient souvent dans les critiques de Soljenitsyne ou d'autres écrivains proches. Ici on y est totalement. C'est « Le procès » vu par un assesseur, ou « Une journée d'Ivan Denissovitch » raconté par un garde du camp. On ne sait pas où l'on est, quelque part dans l'immensité de la taïga. On ne sait pas en quelle année on est, de toute façon chaque jour est identique au précédent.

Il y a une consigne et une seule : entretenir la voie ferré. Tous les jours à la même heure, le train zéro passe. On ne sait pas où il va, on ne sait pas ce qu'il contient, et tous ceux qui ont essayé de le découvrir sont devenus fous. Mais le héros, Ivan Arbediev, ne se pose pas ce genre de question. Le train zéro, pour lui, c'est Dieu. On ne sait pas ce qu'il est, on ne sait pas pourquoi il nous a mis là, on est là pour faire sa volonté, rien que sa volonté, toute sa volonté, et les choses s'arrêtent là.

Les gens sont fous. Le monde est fou. La taïga s'en fout. Au final, que contient le train ? Des déportés politiques, de l'uranium, des chaussures (mais seulement des pieds gauches), le caviar préféré de Staline, du charbon, du blé ? Il n'y a qu'une seule réponse cohérente avec le livre : rien.
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