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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Je suis un sous-locataire, dans la vie comme dans la littérature », nous dit le narrateur, Stalen Igrouiev , qui arrive à Moscou dans les années 90, ces années russes de tous les espoirs et de tous les désillusions , suite à la chute du communisme. Il rêve de devenir écrivain, un rêve qui lui servira de phare dans un monde où certitudes et espoirs ont disparu. On va y suivre ses pérégrinations dopées au sexe et l'alcool à gogo, où le veinard tombe souvent sur des femmes qui le dorlotent contre une rétribution en « allumettes »😁!

Dans son dernier roman Bujda nous décline une Russie post-communiste où les truands et les oligarques ( truands légals😁) rêvent d'être poète et romancier. Pour soigner leurs âmes délaissés au profit de l'argent , ils louent les services d'un négre payé en dollars. le négre ici est incarné par Stalen, dont la philosophie de sous-locataire ne le lie à rien ni à personne en particulier, sauf soucis quotidiens et relations vides mais nécessaires. Tout ce qui ne sert pas la littérature n'a aucune valeur pour lui.
Avec des titres de chapitres truculents annonçant la pitrerie qui va suivre, Bujda alias Stalen Igrouiev se marre à nous raconter les divers situations absurdes et grotesques que suscite le nouveau statut de Far West sans foi ni loi du pays. Pitreries qui cachent de profondes réflexions sur la littérature ici de surcroît russe, sur l'homme et la situation de la Russie post-communiste, que comble de l'ironie ici est « analysé » par un oligarque 😁, « En tout cas, “le frisson des années quatre-vingt-dix”, c'est une bonne expression, ....Tout le monde succombait au désir et se ruait sur ce qui semblait désirable... les Snickers, les idées, l'alcool... l'air brûlait, tout le monde était pris de frissons, vous avez raison... et les gagnants ont été ceux qui ont su en tirer profit... ceux qui ont cru à l'irréversibilité du changement....Plus exactement, ceux qui ont su grandir. Ceux qui étaient petits et sont devenus grands. Voire énormes. Et plus une personnalité est importante, plus volontiers nous l'isolons du mal. Napoléon, Staline... vous comprenez ? Il s'abstint toutefois de développer. » Cette dernière phrase qui résume l'imbroglio des circonstances est complété par Stalen , « Mais dès qu'il s'agissait d'expliquer comment le petit trafiquant de chewing-gum était devenu multimillionnaire, la langue de Boris changeait : « on résolvait des problèmes », « on apportait à qui de droit », « on a eu de la chance », « on a été soutenus » – sans plus de détails ou presque. Telle est la spécificité du business russe – il maîtrise le discours mais ne dispose pas de sa propre langue. »
Dans cette société sans boussole où tout est possible, les paradoxes sont très fréquents et hilarants. Une limousine noire avec chauffeur , loué par Stalen pour aller à un mariage, entre lentement dans la cour étroite de son immeuble, encombrée de voitures rouillées et de bacs poubelles, entre lesquels rôdent des chats pelés et de gros rats, et se gare devant un tas de gravats amassés contre un mur, une vendeuse de cigarette, blonde maigrichonne de quarante ans, en short et collants jaune citron, un petit verre de vodka à la main discute trigonométrie avec sa voisine éméchée qui vend des jeans de fabrication artisanale.....

Entre tragédie et farce, un livre irrésistible où Bujda, le coquin, n'y va par quatre chemins pour nous donner une image d'ensemble grotesque, triste et réaliste de cette Russie post-soviétique, agrémentée de réflexions ironiques sur la littérature et son monde . Il en rajoute de la bouche de Phryné, personnage symbolique du roman “Sans humour vos histoires sembleraient too much “, magnifique clin d'oeil à son propre livre 😁 !
Un écrivain sublime, une prose sublime, un humour sublime, bref un livre sublime !
C'est son quatrième livre que je viens de lire, et dont je ne peux que vous recommander l'imminente lecture. Attention pas pour tous les goûts donc je décline toute responsabilité 😁 et qui n'a rien encore lu de lui et curieuse ou curieux de le découvrir peut tout de suite s'initier avec ce dernier .

« Il croit en Dieu, dit-elle, dès que nous nous fûmes assis dans les fauteuils.
— Ce sont des choses qui arrivent... »

« C'est invraisemblable jusqu'au grotesque : le monde était entier- et il n'est plus. »
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Voyez Stalen (non, non, son nom n'est pas la concaténation des contractions des noms de Staline et de Lénine, mais plutôt des prénoms de ses parents, Stanislas et Lena) qui déambule dans les méandres du métro moscovite. Notez le faste et la beauté de ces stations, les plus belles du monde parait-il.

Suivez ce sous-locataire, qui bien que, « propriétaire depuis longtemps, reste néanmoins sous-locataire dans l'âme, craignant à tout moment d'être flanqué à la porte ». Stalen, sous-locataire de ce pays-maison, où se côtoient peuples d'Europe, d'Asie centrale et d'Extrême-Orient, nouveaux riches et aristocrates déchus, fonctionnaires acrimonieux et mafieux véreux, paysannes déplacées et policiers politiques reconvertis. Un joyeux bazar, je vous dis. Certes « la maison est grande, mais nous vivons à l'étroit», dans une promiscuité qui « est la monstrueuse contradiction entre l'immensité de l'espace de la Russie et l'exiguïté de son existence », où « il n'y a pas de place pour la personne privée, sinon dans un palais ou une cellule d'isolement. ». Notre homme se sent locataire tout comme d'ailleurs Dostoïevski, qui « se sent locataire d'une maison en feu et n'a pas de temps à perdre à des bêtises – il peut tout juste accomplir l'indispensable, crier l'essentiel. »

Crier l'essentiel, oui, c'est bien ça. Ecoutez Stalen crier l'essentiel et vous raconter l'histoire picaresque de la Russie, ce dernier demi-siècle chahuté. L'URSS, sa chute et la fin ou non de l'histoire. Ou peut-être la fin d'une étape de l'histoire, maintenant que « le libéralisme a vaincu, qu'il ne reste plus d'adversaires … », maintenant que « l'idée d'un homme avec des idées est définitivement discréditée ».

Rencontrez par son intermédiaire Pouchkine, Gogol, Dostoïevski , Garchine, Sologoub, Biely, Tchekhov, Boulgakov, … , les plus grands de la littérature russe mais pas que. Il vous dira aussi Swift, Crane, Stendhal. Et Poe, Akutagawa, Faulkner, Hawthorne, … tous ces grands auteurs qui l'ont nourri, qui l'ont porté dans ses réflexions sur le récit, sur la littérature, sur l'art en général. On se sent soudain tout petit, insignifiant face à tant de culture, tant d'intelligence.

Tentez de pénétrer avec lui l'âme russe, son goût pour le non-sens et son pessimisme viscéral. Que lui répondrez-vous quand il vous dira que «en Russie, une révolution pacifique ne peut être authentique», que « le monde s'écroule – la vie se poursuit, nous vivons ainsi depuis mille ans, nous nous sommes accoutumés. », qu'il est inutile d'avoir des projets pour l'avenir, que seule la concupiscence, le bâton ou le Kremlin rassemble le peuple ?

Mais surtout trinquez, trinquez. Trinquez avec Stalen. Cognac français, whisky écossais, et bien sûr vodka russe. Trinquez pour oublier que « les visages dans le métro ont changé : les hommes essoufflés aux porte-documents boursouflés avaient disparu, les Juifs moscovites, les travailleurs scientifiques et techniques, les prolétaires sont de plus en plus rares, en revanche on voyait de plus en plus de jeunes managers en petit costume bon marché », que désormais on parle en Russie la même langue creuse et morte du management moderne quand il s'agit d'expliquer « comment le petit trafiquant de chewing-gum était devenu multimillionnaire […] : on résolvait des problèmes, on apportait à qui de droit, on a eu de la chance […] ».

Trinquez, oui c'est tout ce qu'il nous reste pour oublier que les dirigeants (politiques ou économiques, sans distinction ) russes (et d'ailleurs) « connaissent la recette pour atteindre le bonheur universel : il suffisait d'appauvrir la population afin de dévaluer la force de travail – ainsi, nos marchandises, qui n'étaient pas de très bonne qualité, deviendraient compétitives grâce à leur faible coût-, de concentrer les ressources entre les mains d'une minorité afin que cette minorité puisse être concurrentielle sur le marché international, de détruire les syndicats… »

Je dédie ce billet à Natacha, Nadejda, Karolina et à toutes les autres victimes de russophobie, victimes d'amalgame débile, grossier et dangereux.
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