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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Boire ou écrire, autant ne pas choisir.
Littérature russe de la vodka abuse, gage d'immunité contre la sobriété et les basses températures, mais Iouri Bouïda n'est pas un auteur qui se lit cul sec. Son dernier roman n'est pas facile à suivre. Il a parfois semé le rêveur que je suis, il est impitoyable avec le lecteur qui se laisse distraire par la chute d'une feuille morte devant sa fenêtre. Il est important de ne pas faire tilter l'éthylotest pour réussir à suivre ce récit picaresque dont les têtes de chapitre annoncent à la criée les aventures hors-sol de son écrivain de héros, Stalen Igrouïev, genre : « Chapitre 9, Où il est question de l'immaculée conception, d'une pucelle langoureuse et du Guilgoul ». Tout un programme. Plus emballant qu'un débat politique pour les primaires de la présidentielle.
Tel Don Quichotte, le récit de la vie Stalen dans la Russie des années 90 est imbibé de littérature. Mais là où le chevalier à la triste figure se laissait guider par les romans de chevalerie, Iouri Bouïda enchaine les hommages à Nabokov, Tolstoï, Rabelais ou Pouchkine à travers des personnages qui semblent s'être échappés de célèbres romans. Autant dire que son héros est un peu moins prude que Don Quichotte. Il vit plus de sexe et d'alcool que d'amour et d'eau fraîche. Ici Phryné éclipse Dulcinée. Baudelaire et Dumas avaient déjà embrassé ce personnage mythique. L'auteur chausse les après-skis et les suit à pas feutré.
La sous-location du titre est celle de l'auteur qui vient squatter en toute modestie, l'univers de certains grands classiques. L'auteur n'est pas un marchand de sommeil ou une victime des émissions de Stéphane Plazza. Plutôt un vendeur de rêves. Rêves d'écriture pour son héros inspiré et entretenu par des muses hors du commun, femmes à outrance qui vont traverser sa vie et l'aider à construire son oeuvre en partageant leurs lits et leurs extravagances.
Mais ce roman n'est pas qu'un exercice de style. C'est aussi un exercice de stèles. Celles d'un pays en décomposition, d'un empire qui en ras la toundra, celui de la désunion soviétique. Que faire de cette nouvelle liberté gangrénée par la corruption ? Faut-il abandonner ses illusions et danser dans les pas d'Eltsine ? L'auteur revient un peu en arrière entre deux truculences pour peindre une toile de la Russie de la fin du 20ème siècle. Un tableau plutôt abstrait mais dopé d'humour et de truculence.
Un roman russe dans toute sa splendeur et sa folie.
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Stalen passe son temps à expliquer que son prénom n'a rien à voir avec « Staline ». Nous voilà donc prévenus: les mots mentent, ou plutôt ils ne résonnent pas de la même façon pour chacun d'entre nous. Stalen est écrivain et son prénom lui rappelle que, décidément, ça ne va pas le faire, même sur un malentendu.
Contraint d'emprunter les mots des autres, Bouïda s'en donne à coeur joie : s'il fallait citer un livre exprrrrimant toute l'âme rrrrrrusse, « Les aventures d'un sous-locataire » ne serait pas un mauvais choix. Les cuites y sont homériques, les femmes sublimées même pour un coup d'un soir, les conversations toujours métaphysiques, et la vie absurdement, drolatiquement tragique.
Chaque chapitre porte un titre infiniment cocasse, à la manière des auteurs du XVIII°: « Où il est question de kalokagathie, du pénis d'un sourd-muet et de petites cuillères à thé » ou bien « Où il est question d'une honte tricolore, d'une Mona Liza dévergondée et d'un narrateur peu fiable ».
Culture, sexe, nationalisme et art romanesque: voilà donc le programme de Bouïda qui reprend dans ces « Aventures » les grandes lignes du récit picaresque. Un anti-héros nécessiteux en butte au déterminisme social qui multiplie les coups d'éclat pour se sortir de la mouise sans jamais y parvenir (définitivement sous-locataire), un panorama acerbe de toutes les couches de la société (des milliardaires aux clodos en passant par tous les apparatchiks), une structure par addition d'aventures qui s'oppose au récit initiatique en ce que le personnage est incapable d'évoluer ( et retourne d'ailleurs à la case départ à force de péripéties toujours identiques), des aventures extravagantes par lesquelles c'est moins la liberté du personnage qui est célébrée que celle d'un auteur réticent à la composition tout autant qu'au bon goût. Or, à cette base classique se superpose un refus radical de l'histoire. « J'avais l'impression d'être le héros d'un roman en train de naître sous mes yeux, mais je ne comprenais ni l'idée du livre ni les motivations de ses personnages, je ne saisissais pas les liens ni n'entendais le courant des eaux souterraines... » Alors que dans le roman picaresque la liberté de l'écrivain venge les déconvenues du personnage, ici le personnage phagocyte le romancier et ses aventures truculentes multiplient des mystères qui ne seront jamais résolus. Plus personne ne comprend rien au désordre du monde et encore moins à celui de la Russie ; tandis que l'écrivain entasse les épisodes du romanesque le plus débridé (un cadavre d'enfant scellé au coeur d'un appartement, la disparition d'une fiancée au cours d'un incendie monumental, l'enlèvement d'une beauté sublime enceinte jusqu'au cou…), le personnage, lui, se recroqueville dans la misère et l'indifférence, et ne trouvera jamais de sens aux mystères dont il fut le témoin. À la manière de Flaubert qui, avec Madame Bovary, crache sur les romans en en édifiant un des plus beaux qui soient, Bouïda célèbre la mort de l'art dans une oeuvre protéiforme et déceptive, mais surtout somptueuse.
La belle Phryné était pour les Grecs vertueuse puisque parfaitement belle; elle se réincarne dans la Russie du XX° siècle et fascine le narrateur par sa beauté et son intelligence. Mais cette beauté qui semblait défier le temps ne résiste pas à un cambriolage où sont lacérés des tableaux: moins Dorian Gray que Russie de Poutine, elle rentre dans l'histoire alors qu'elle se croyait éternelle.
La Russie vacille, l'art n'a plus rien à nous dire, mais ce rien fait notre bonheur. Quitte à ne plus rien comprendre ni au monde ni à notre vie, autant célébrer avec Bouïda le sexe, la vodka et les livres.
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Le titre original des AVENTURES D'UN SOUS-LOCATAIRE , «CTAЛEH», correspond au drôle de prénom de son narrateur et personnage central: «STALEN». Prénom pas du tout issu, tel que l'on pourrait s'imaginer, d'une contraction entre «Staline» et «Lénine», mais, comme le précisera l'intéressé, entre le prénom de son père, «Stanislav», et celui de sa mère, «Elena», «Lena».
Pourtant…ce noeud signifiant que le narrateur affirme «passer sa vie à défaire» paraît loin d'être anodin!
Anti-héros amoral et pragmatique («je prends la vie telle qu'elle est»), attachant malgré tout par l'acuité de ses observations sur la nature humaine en général, sur ses compatriotes russes en particulier, ainsi que par une capacité d'auto-critique et d'auto-dérision tout aussi fines et aiguisées, le prénom de Stalen, outre son rapport, assez évident, à l'héritage soviétique qui continue encore de nos jours à hanter les couloirs tortueux de l'imaginaire collectif russe, m'aura personnellement fait penser, par une sorte de consonance, à l'«acier» («steel», ou encore les «stahl» et «stalen» germaniques), et plus particulièrement à cet alliage d'acier dit "demi-doux" qui tout en se présentant d'emblée comme une matière façonnable, malléable, résiste néanmoins aux impacts et aux chocs extérieurs sans altérations significatives de sa structure fondamentale...Voilà qui pourrait, à mon sens en tout cas, illustrer parfaitement à la fois le propos général de ce brulot sceptique et le profil de son personnage central. «Je n'ai été et ne serai un dissident, un opposant, un partisan du pouvoir, un homme de gauche, un homme de droite, un libéral, un conservateur, pour la simple raison que cela n'est pas ma langue». La devise préférée, pleinement assumée par Stalen, sera d'aileurs, et pour cause: «Never complain, never explain»!
Tout en s'inscrivant dans une solide tradition littéraire qui s'était appliquée, de Dostoïevski à Nabokov, à mettre à nu la fougue, les excès et les paradoxes constitutifs de l'âme russe (et qu'en bon « sous-locataire » aussi, Iouri Bouïda ne cessera de citer ou convoquer indirectement dans son récit), l'auteur s'empare librement des codes du roman picaresque, s'amusant sur un ton particulièrement burlesque et impertinent à la déshabiller, cette âme, à la lumière cette fois des événements qui avaient marqué son pays durant la seconde moitié, et au tournant du XXe au XXIe siècles. Incarné dans le regard acerbe d'un de ses avatars modernes et sorte de double littéraire de l'auteur, Stalen Stanilasvovitch, lequel, après une série de péripéties, pour certaines ébouriffantes, la plupart du temps arrosées copieusement de vodka et guidées par les faiblesses de la chair, ayant tout de même réussi à acquérir une certaine notoriété en tant qu'auteur, entre deux âges et malade, se remémore ici son parcours chaotique de jeune écrivain fraichement débarqué dans la capitale russe au début des années quatre-vingt-dix, ainsi que son initiation par la mystérieuse et fascinante Anna Fiodorovna, dite «Phryné», hétaïre à la beauté renversante mise au service de l'ancien régime agonisant, qui l'accueillera à son arrivée dans la capitale et l'introduira dans les arcanes de la mutation post-soviétique en cours à cette époque. Campé dans une Moscou à la fois somptueuse et sordide, où les stations monumentales du métro souterrain que découvrait alors le jeune narrateur ébloui, contrastaient terriblement avec la ville située en surface, «sentant partout l'asphalte, l'urine et le moisi », à un moment où y régnaient une spéculation immobilière et un business effrénés, dans une ville investie du jour au lendemain par une nouvelle faune grotesque, composée d'une génération spontanée d'oligarques, de mafieux réhabilités en entrepreneurs, de vieilles pointures de l'ancienne nomenklatura en pleine reconversion, d'arrivistes de tous poils, ainsi que «des millions de victimes anonymes des sauvages années quatre-vingt-dix», le récit de Stalen revisitera d'une voix indifférente à toute considération purement moralisatrice ou accusatrice, empreinte de ce cynisme détaché si caractéristique du style picaresque qu'elle adopte, le passé relativement récent et chaotique de la Russie post-soviétique.
La notion de «sous-locataire», retenue dans le titre de l'édition française (excellente traduction de Véronique Patte, récompensée d'un prix tout à fait méritant), ainsi que celle d' «espace de liberté privé» sont des métaphores récurrentes dans le roman (la Russie se caractériserait entre autres, d'après Bouïda, par cette contradiction incroyable entre l'étendue continentale de son immense territoire et l'exiguïté et la promiscuité qui affligent les conditions de vie et de logement de ses habitants !!). Stalen se définit d'entrée de jeu comme un « sous-locataire dans la vie et la littérature»; le nouvel ordre post-soviétique et l'économie de marché, après une bulle créée par une spéculation immobilière artificielle, permettraient malgré tout aux Russes d'accéder enfin à la propriété privé; en acceptant de jouer selon les nouvelles règles et de saisir les bonnes occasions, le jeune Stalen finirait par réaliser lui-même le rêve de générations et générations de russes, devenant à son tour propriétaire d'un logement ; les années quatre-vingt-dix seront associées par un autre personnage au « syndrome de la maison en flammes » qui définirait selon lui l'homme russe; Dostoïveski sera aussi cité à propos, lorsque se disant «locataire d'une maison en feu», l'écrivain déclarait «ne pas avoir de temps à perdre et de ce fait devoir aller à l'essentiel» : voici, parmi tant d'autres, quelques-unes des nombreuses occurrences de cet ordre filées par l'auteur.
La fin de l'ère communiste n'aura cependant rien apporté de fondamentalement nouveau à la grande «maison Russie» et à une très large majorité de ses occupants ; le peuple russe, à part le chaos d'un nouvel incendie imminent, semble conclure notre écrivain d'acier, n'en aura tiré aucun avantage particulier au change… Et puis, de toute façon, rajoutera Stalen-Bouïda, l'homme russe, « nihiliste, filou, coquin(…) a appris à ne croire en rien ni en personne, et à accueillir cette [nouvelle] monstrueuse réalité comme un rêve. Ce n'est pas un hasard si dans la littérature russe le thème du rêve et de la folie occupe une place beaucoup plus importante que dans n'importe quelle autre littérature».

Le nouveau règne d'un Poutine, dira-t-il vers la fin de son récit, brouillant au passage les frontières séparant fiction et actualité politique, dont le rôle pourrait après tout être assimilé dans l'imaginaire russe «aussi bien au tsar Nicolas qu'à Staline..", ne ferait que réactualiser les attentes de l'«idéalisme barbare» et atavique de l'homme russe, empêtré dans une mystique où «convaincu que le monde est prisonnier du mal, aucune réforme n'est en mesure de vaincre l'Antéchrist, seul le Christ peut nous débarrasser de son pouvoir et changer radicalement notre vie (…) nos élans bestiaux sont imbibés de ce marasquin religieux». Impossible transmigration, donc, pour cette âme tourmentée cherchant perpétuellement à échapper aux flammes du mal, rélégant «le libéralisme en Russie à une sorte de corps étranger, éternellement éphémère, que dire…ce n'est même pas un souffle, c'est un effluve, un parfum… ».
Mais pourquoi, après tout, me suis-je demandé, écrire une critique sur un livre où l'auteur a visiblement suivi la leçon apprise d'un de ses grands maîtres, qui dans ses « Carnets du Sous-sol » s'était chargé en amont de pointer les plus grosses ficelles et faiblesses de son récit? « Précis mais tarabiscoté », fera déclarer Bouïda, de l'intérieur même de la narration, par la voix de l'une des très nombreuses conquêtes féminines de son libidineux personnage, correctrice par ailleurs impitoyable des épreuves du premier livre publié par Stalen. «Sans humour, vos histories sembleraient too much», remarquera Phryné à la toute première lecture de ses carnets à lui..
Fin et truculent, très astucieux, intellectuellement exigeant et parfois excessivement rocambolesque pour être pris au sérieux, passant sans transition et sans vergogne de l'éthéré à l'éthylique, on ne pourrait reprocher en fin compte aux AVENTURES D'UN SOUS-LOCATAIRE que ce qui ferait exactement son charme et signature littéraire particulière: l'excellence dans l'excès (avec bien sûr, le risque d'une certaine gueule de bois découlant de sa consommation…!). En définitive, pour apprécier pleinement ce roman, il faudrait, c'est vrai, soit pouvoir faire preuve d'une certaine désinvolture en tant que lecteur, soit d'un bon métabolisme pour tenir ce mélange explosif concocté par Bouïda, cocktail réunissant à doses équivalentes les plus purs distillés provenant des Highlands intellectuels et littéraires avec les basses fermentations résultant de la macération d'ingrédients pas toujours très ragoûtants au palais et l'odorat, ainsi que les sucs d'une jouissance des sens sans entraves..
Que faudrait-il alors essayer de préserver dans cette maison constamment menacée d'incendie ? En digne héritier de la tradition du roman philosophique et picaresque du XVIII siècle, Bouïda s'abstient, me semble-t-il, de toute conception monolithique, de toute formulation à caractère moral lapidaire ou solution rédemptrice. Il ne serait revendiqué par le narrateur, en fin de compte, que la liberté de penser en dehors de tout «idéal qui écraserait la liberté de l'individu», en le faisant croire qu'il peut se transformer en héros moderne, par un quelconque «Méphistophélès du XXIe siècle s'arrogeant le privilège de résoudre les problèmes d'un monde sans personnalité».
Ou, en dernier recours, lorsque la désespérance s'emparerait de l'âme souffrante, de suivre tout simplement le conseil pratique prescrit par le père du narrateur :
« On se met un quartier de citron dans la bouche et on le colle au palais avec la langue. On ne se sent pas mieux pour autant, mais plus léger… »

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Trouvé par hasard à la médiathèque, je ne savais pas sur quoi j'allais partir.
A l'instar de l'oeuvre d'Aleksei Salnikov (Les Petrov, la grippe, etc), l'entrée dans la littérature russe moderne a quelque chose de caractéristique.

On ne peut pas s'y défaire du passé, du soviétisme et l'on rencontre toute la Russie à travers ces pages. Ou au moins Moscou. Mais c'est l'empreinte quasi mystique qui en font des oeuvres caractéristiques.

Bref, encore une fois je n'ai pas tout bité mais je suis arrivée jusqu'au bout grâce ) ce mille-feuilles de personnages éclectiques.
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