Citations sur Le Chemin des âmes (173)
[...] Tu m'as enseigné, Niska, que tôt ou tard, chacun de nous devra descendre, trois jours durant, le chemin des âmes.
Le blessé gémit toujours ; il bredouille. je crois qu'il s'est mis à parler une langue secrète ; je crois que déjà, il s'entretient avec l'esprit qui l'emmènera sur le chemin des âmes, celui qu'on met trois jours à parcourir.
Mais je secoue la tête et je regarde plutôt ses yeux. Ils sont gris, mais gris comme le ciel juste après l’orage, quand il s’apprête à redevenir bleu, et non de cette grisaille qui nous éclaire ici.
Evoquer sa mémoire ne ferait qu’inviter la tristesse et la tristesse, par ici, monte aussi vite que la pluie dans les tranchées, jusqu'à tout noyer.
...nous restons blottis là-dessous, à écouter les obus qui s'éloignent petit à petit, dans des chocs sourds et des frissons, comme des bêtes féroces qui reniflent la terre, et la martèle, cherchant toujours d'autres hommes à déchiqueter.
(p 30)
Le seul spectacle qui ne soit pas décourageant, en cet endroit, se trouve dans le ciel. Malgré le naufrage du monde au-dessous, les oiseaux continuent de voler comme si de rien n'était. Quand nous avons un peu de temps de libre, entre une faction et un exercice, Elijah et moi, allongés sur le dos, les admirons : des volées de passereaux tourbillonnent et se pourchassent sans fin.
(p 208)
Je l'ai remarqué récemment : l'éclat de ses yeux a changé. Je répugne à l'admettre, mais c'est pourtant là. McCaan aussi le sait. Je voudrais aller le voir ; lui dire de ficher le camp, d'aller en Angleterre ou de rentrer au Canada, peu importe ; de ne pas rester ici. Mais on ne peut pas se dérober : cela vous trouve toujours, le moment venu. Nous savons, l'un et l'autre, qu'il n'en a plus pour longtemps ; nous n'en parlons pas. Qu'est-ce que cela changerait ?
J'ai longtemps prié Gitchi Manitou cette nuit-là , puis le lendemain : je l'ai remercié d'être toujours en vie, et pour la mort de mon ennemi. Depuis lors, j'arrive à tuer en sachant que je ne le fais que pour survivre , et tant que je dis mes prières à Gitchi Manitou : il comprend. Mon ennemi, lui, ne le comprend peut-être pas quand je l'envoie sur le chemin des âmes, mais j'espère qu'il comprendra le jour où je le rencontrerai à nouveau.
Le soir venu, je trouve un bon emplacement où camper. Cette première journée me laisse une impression étrange. A deux reprises, en arrivant à un coude de la rivière, dans cette forêt encore marqué par l'incendie, j'étais certaine de reconnaître des lieux que j'avais traversés voici peu, allant à la ville. A deux reprises, je n'ai retrouvé aucun de mes repères, comme si je passais là pour la première fois. cela me trouble : j'ai l'impression que Neveu et moi poursuivons un voyage bien différent de celui que nous avons commencé.
(P.170)
Le jour vient de naître : l’eau de la rivière est noire. Tout à l’heure, le soleil en montant la fera tiédir et lui donnera la couleur du thé.
"Tu veux que je te dise, ma tante ?" Et je reprends un peu d'eau. "Il y a tellement de morts enterrés l)-bas que si les arbres repoussent, les branches porteront des crânes." L'idée me fait rire ; rire me fait mal.