Il est Vénitien, né à Rome, naturalisé français en 1874 et perd en le faisant toute son ancienneté dans l'ordre de la marine.
Comme le héros de Conrad, il voit les blancs sur la carte de l'Afrique et une question autour de ce blanc : où se trouve la ou les sources du fleuve Congo, et celle de l'Ogoué ? le mystère des sources du Nil avait été résolu par Burton et Speke…. Alors ?
L'intuition de Pierre Savorgnan de Brazza est que ces deux fleuves ne font qu'un à leur source, qu'ils se rejoignent dans de grands lacs intérieurs, voilà le but de son expédition de 1875 à 1877, qu'il rapporte dans «
Au coeur de l'Afrique, Vers la source des grands fleuves. »
Tout comme Livingstone, Brazza désapprouve la manière forte qu'il juge peu rentable et ne correspond pas à son statut d'aristocrate. Pour lui, localiser les principaux fleuves du continent réglerait la circulation des marchandises et des hommes, les voies d'eau étant les seuls moyens pour pénétrer l'immense forêt équatoriale, et en finir avec le trafic d'esclaves qui se perpétue de village de l'intérieur à village jusqu'à la côte. Or Stanley, son grand rival et sinistre sire, avec des moyens colossaux, veut ouvrir une route praticable pour éviter les rapides du fleuve Congo, à l'aide de la dynamite sur les collines et même les hommes, à titre d'exemple.. ..
Brazza, lui, estime qu'il n'a besoin que de peu de moyens, il est seulement accompagné d'un médecin, d'un naturaliste et d'une douzaine de fantassins sénégalais, les laptots.
C'est lui qui finance en partie le voyage, en outre, il profite de sa remontée du fleuve Ogoué pour connaître les différentes tribus, certaines cannibales, ça, on le savait, d'autres fourbes, voleurs, menteurs. Il en note les noms, les noms des villages et avance. Il se rend très bien compte des soi disant « échanges » et n'accepte pas la chèvre, au contraire, comme c'est lui l'envahisseur, c'est lui qui donne … des perles bleues, des bibelots, des tissus… sûr ainsi de ne pas avoir à donner en échange de trop grandes proportions de ces cadeaux de troc, puisque l'argent n'existe pas. Et tisse ainsi une amitié avec le chef Renoké.
Il achète, contre des articles des factoreries, des esclaves, leur propose un salaire comme pagayeurs, et à son étonnement et grande tristesse, ils repartent, sachant qu'ils vont être revendus, parfois par leur frère.
Brazza a le mérite, dans ce livre ( et dans sa vie ) d'être foncièrement honnête. Il ne se vante pas d'avoir libéré les esclaves, il a essayé. Et il tisse des liens d'amitié avec beaucoup, par exemple en faisant des feux d'artifice, et devenant ainsi le grand magicien africain. Il reconnaît avec simplicité à la fin de sa mission qu'il s'était trompé : l'Ogoué qu'il a remonté, avec rapides, dangers, menaces et retour à la limite de la faim, n'a pas sa source dans la région des grands lacs.
Alors, puisque le récit de Brazza lui même ne se termine pas en apogée égocentrique, je veux dire que, si, il a trouvé dans une autre expédition la source de l'Ogoué.
Bravo Brazza.
Dire aussi qu'il s'est opposé au régime de la concession, déjà en vigueur au Congo belge, et qui obligeait les pauvres colonisés malgré eux à payer un impôt.
Et puis, victoire du bien sur le mal, l'ancien Stanley pool a été remplacé par le village Brazzaville, devenue la capitale.
Cet homme qui a dû lutter non pas contre les africains malgré leurs défauts, mais plutôt contre la droite française, foncièrement colonialiste style « tuons les tous, ces sauvages, » et la gauche, qui ne voulait pas de vagues, n'était pas du tout comme Livingstone un pur esprit , il se rend très bien compte de la situation en Afrique et de notre responsabilité , des enjeux soulevés, des difficultés insurmontables.
« Ils n'ont guère connu de notre civilisation que les fréquents châtiments qu'on leur infligeait en incendiant leurs villages, »
Rebondissement en 2006. Lui qui avait caché, par prudence, dans une valise Vuitton à double fond les notes de sa dernière expédition en 1905, tant il craignait les services secrets français, est mort ( empoisonné ?) à Dakar , sa valise explosée et ses écrits disparus,( craintes justifiées donc) et ses restes se trouvaient à Alger…. Et furent rapatriés à Brazzaville, à la demande de Denis Sassou N'Guesso, président du Congo Brazza, avec monument à son honneur, lycée qui porte son nom, et le seul nom d'un explorateur donné à une capitale africaine.
Encore bravo Brazza.
Allez, j'ajoute, sur son site Wiki il est habillé comme un cheikh, turban de soie blanche, et ses yeux noirs, barbe noire, faites donc un petit détour, et comprendrez que je me suis trompée de siècle.