Comment résister à pareille injonction ?
Surtout quand elle émane d'un grand carnet blanc « exceptionnel, avec sa couverture rigide, son papier épais » !
Il est d'abord le confident des espoirs d'un étudiant ougandais, puis celui des projets d'évasion d'une petite fille argentine. « Objet impie », il est en concurrence avec la Bible, le Bhagavad-Gītā, le Coran… et, dans les médiathèques, avec les sites Internet.
À force d'aventures et de mésaventures, il perd de son lustre, il perd des feuilles - rédigées par ses propriétaires successifs - qui se trouvent découpée au cutter ; il chute, sa couverture est écornée, il empeste le poisson… mais chaque fois, ce carnet « à part, et à part entière » échappe par miracle à la poubelle, à l'abandon, à la destruction !!
Nous traversons au galop des lieux magnifiques : l'ancien théâtre argentin, El Ateneo, « aux tapis cramoisis, aux marbres blancs et aux peintures dorées » ; le Campo Ferial, royaume des libraires d'occasion, à Lima ; et nous atterrissons dans la nouvelle bibliothèque d'Alexandrie, Bibalex !
Sur cette trame pleine de fantaisie,
Magali Brieussel brode des motifs bien contemporains. Elle nous entraîne dans sa réflexion sur le statut de l'écriture, de ses supports et de ses truchements… Grâce à elle, nous sommes invités à réfléchir sur l'hégémonie de la langue anglaise (alors que le carnet est polyglotte !), le handicap, le domaine public, le partage de la culture, et la logique commerciale qui envoie des objets au feu ou au pilon quelques mois après leur naissance… Créateurs, auteurs, publicitaires, éditeurs, pirates, imprimeurs, collectionneurs, traducteurs… et lecteurs sont là pour témoigner !
Elle s'amuse en chemin, entre « cadavre exquis », message codé, allitérations, jeu de mots, abécédaire, images poétiques (le soleil, « une pelote de poudre », la « fumée de sable » qui se dépose sur les objets) ou humoristiques (« Tout de blanc vêtu, M. Yang ressemble à une balle de golf : petit, rond, compact »).
Dans l'Île déserte, Alice nous tient la main, et nous découvrons que le fameux carnet possède certains pouvoirs magiques.
J'ai songé, en lisant Magali, à la plume enjouée d'
Erik Orsenna, qui aime les îles, les voyages, la grammaire, et à
Ray Bradbury, dont les héros sauvent la littérature du feu.