Extinction Parade, tome 2 : Guerre totale

Ce tome fait suite à The extinction parade tome 1 qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il contient les 5 épisodes "War", initialement parus en 2014, écrits par Max Brooks, l'auteur de Guide de survie en territoire zombie), dessinés et encrés par Raulo Caceres, et mis en couleurs par le studio Digikore. Il s'agit de la deuxième partie d'une trilogie.

L'action se déroule toujours en Malaisie. Les 2 vampires femmes (elles ne sont pas nommées dans le récit) du tome précédent ont pris conscience du danger que représentent les zombies. Ils s'avèrent toujours incapables de détecter la présence des vampires, mais il reste de moins en moins d'êtres humains encore vivants, c'est-à-dire que le stock de nourriture se raréfie de plus en plus pour les vampires.

Aussi elles ont choisi d'exterminer les zombies. Elles se sont placées à la sortie d'un pont, où elles éclatent les crânes des hordes de zombies qui ne cessent de déferler, se dirigeant vers une destination inconnue. Ils ne sont pas agressifs, mais il faut qu'elles prennent soin que leur fluide noirâtre qui a remplacé leur sang ne rentre pas en contact avec leurs propres muqueuses. C'est un travail harassant réalisé à coups de poing dans le crâne, uniquement de nuit puisqu'elles restent sensibles à la lumière du jour. Au bout de plusieurs jours, survient une autre vampire Adilah qui leur montre une autre manière d'éclater les crânes en utilisant les pieds.

Ce deuxième acte s'inscrit dans la droite lignée du premier : gore, gore, gore, avec un regard impitoyable sur la civilisation des vampires. Raulo Caceres dessine toujours avec le même niveau d'investissement maniaque. Les dessins présentent tous une forte densité d'informations visuelles, avec des contours légèrement arrondis qui les rendent très plaisants à l'oeil... malgré la nature de ce qui est représenté.

Ce soin apporté à la minutie des dessins s'observe dès la deuxième case de la première page, dans laquelle Caceres prend le temps de dessiner de manière distincte les 34 perles composant le collier autour du coup d'une femme, chaque perle étant ombrée de manière différente pour rendre compte de l'éclairage. Il dessine avec le même soin attentionné les mètres d'intestin dévidé d'un cadavre dans la page 2.

Le lecteur l'a bien compris : Raulo Caceres dessine de manière concrète et figurative, avec l'intention d'en donner pour son argent au lecteur. Si la scène prévoit la présence de plusieurs dizaines de zombies, il les dessine en les rendant chacun différent, de par leur visage, leur morphologie, leur tenue vestimentaire, et les zones de chair en putréfaction. Lorsque les vampires éclatent des crânes, la cervelle gicle, avec une direction correspondant à celle de l'impact du poing. Lorsque les fluides corporels s'écoulent, l'artiste met un point d'honneur à rendre compte de leur viscosité. Pour Caceres, dessiner l'horreur physique, c'est du sérieux, et il est hors de question de faire les choses à moitié. Seuls les petits arrondis discrets de l'encrage et les expressions de visage peu nuancées éloignent ces cases, d'une représentation photographique.

Au fil des pages, le lecteur s'immerge donc dans une réalité très concrète, avec des vêtements réalistes (qu'il s'agisse de tenues civiles ou militaires), des conséquences matérielles des actions (les déchirures des gants à force de défoncer des crânes), des accessoires de modes très convaincants (l'improbable tenue d'Adilah, en déesse malaysienne de la mort), des armes blanches finement ouvragées, et des armes à feu reconnaissables.

Cette approche minutieuse installe un malaise palpable car le lecteur n'a aucune possibilité d'ignorer les cadavres, les os brisés, les chairs en décomposition. Les couleurs choisies par Digikore accentuent encore ce malaise, en particulier la teinte grisâtre retenue pour les chairs en décomposition des zombies.

Max Brooks s'attache à montrer comment les 2 vampires femmes s'adaptent à leurs nouvelles conditions de vie. Dans les 2 premiers épisodes, il reprend le dispositif narratif du premier tome, consistant à donner à la vampire principale, un flux de pensée assez copieux et très écrit. Ce deuxième acte comprend plus de dialogues que le premier. le lecteur peut donc voir les vampires échanger leur point de vue, mais aussi accéder à l'évolution du mode de pensée de la vampire.

L'intrigue en elle-même est très linéaire, avec ces 2 vampires luttant pour essayer d'endiguer le flux de zombies, dans l'espoir de donner du répit pour les humains (quasiment absents du récit) afin qu'ils reprennent le dessus et neutralisent la contamination. Elles rencontrent d'autres vampires et observent comment ils ont choisi de lutter à leur manière contre les zombies.

Ce qui permet au lecteur de trouver un intérêt à cette suite de scène de cervelles de zombies qui giclent, réside dans les observations de la vampire. Dans le premier tome, elle faisait apparaître la vie de parasite de sa race, des individus se contentant de se repaître du sang des humains et de jouir du confort de leurs inventions (en particulier les douches chaudes), sans contribuer à leur société. Dans ce récit, les vampires sont des individualistes qui profitent des humains.

Avec ce deuxième tome, l'épidémie zombie force la vampire à prendre conscience de la vie de privilégiée qui fut la sienne, de son absence de compétences utiles, des caractéristiques sociales des vampires. Au fur et à mesure de ses considérations (formulées dans son monologue intérieur), le lecteur devient sensible à cette dimension sociale, et se surprend à faire le parallèle avec sa propre contribution à la société. le constat n'est pas toujours confortable. Max Brooks met en scène des questions complexes comme la dimension culturelle d'une société, sa capacité d'innovation, sa capacité d'adaptation à des situations nouvelles. Il redonne du sens à des expressions toutes faites comme "Nécessité fait loi", ou encore "La nécessité est la mère de l'invention". du coup, certaines scènes prennent une dimension allégorique pénétrante.

Dans ce deuxième tome, Max Brooks et Raulo Caceres poursuivent leur histoire de guerre entre des zombies et des vampires, sur leur mode narratif si personnel. Les dessins obsessionnels de l'artiste destinent ce récit à des lecteurs avec un goût pour le gore, capables d'apprécier son investissement dans la représentation de la tripaille et des cervelles qui giclent. La structure du récit peut également nécessiter un temps d'adaptation pour le lecteur, afin d'apprécier le volume de pages dévolues à l'extermination de zombies très passifs, et au monologue intérieur de la vampire.

Sous réserve d'être sensible à cette forme narrative particulière, le lecteur se rend compte que ces créateurs utilisent les conventions propres aux récits d'horreur, pour faire ressortir des facettes de la condition humaine, à la fois relatives à la société, mais aussi à l'individu, ce qui constitue une démarche littéraire.