À M. DE BALZAC.
Ode.
Doctes nymphes par qui nos vies
Bravent les ans et le trespas,
Seules beautez dont les appas
Ont mes passions asservies,
Vous sçavez bien que la splendeur
De cette orgueilleuse grandeur
Où l’espoir des autres se fonde
N’est point ce que j’ay desiré,
Et que j’ay toulours preferé
Vos faveurs à celles du monde.
Enflé de cette belle audace,
À peine sçavois-je marcher
Que j’osai vous aller chercher
Au plus haut sommet de Parnasse.
Apollon m’ouvrit ses tresors,
Et vous me jurastes dèslors,
Par vos sciences immortelles,
Que mes escris verroient le jour,
Et tant qu’on parleroit d’amour
Vivroient en la bouche des belles.
Toutefois, mes cheres compagnes,
Ces esperances m’ont failly :
Balzac tout seul a recueilly
Ce qu’on cherche dans vos montagnes.
C’est en vain que tous ses rivaux
Esperent par leurs longs travaux
En vostre éternelle richesse ;
Luy seul la possede aujourd’huy,
Et faut que le tienne de luy
Les effets de vostre promesse.
Lors que la nuit étend ses voiles,
On y remarque des flambeaux
Qui semblent plus grands et plus beaux
Que ne sont les autres estoiles ;
Mais, si-tost que l’astre des cieux
Commence à paroistre à nos yeux
Et qu’il a les ombres chassées,
Nous voyons que de tous costez
Grandes et petites clarte
Sont également effacées.
De mesme, ceux à qui la France
A veu tenir les premiers rangs
Dans le siecle des ignorans
Devant luy perdent l’asseurance.
Ce grand soleil des beaux esprits
A tout seul remporté le prix ;
De luy seul la gloire est connuë,
Et tous ces petits escrivains
Qui faisoient n’agueres les vains
Disparoissent à sa venuë.
Honorat de RACAN – Une gloire perdue (Paris Inter, 1960)
Émission « Poètes oubliés, amis inconnus » diffusée en 1960, sur Paris Inter, avec Philippe Soupault et Henri Poirier.