Edité en 2000, il y a donc presque vingt ans,
Fascisme, nazisme, autoritarisme de
Philippe Burrin conserve une actualité qui rend cette étude non seulement intéressante mais également importante. En effet, on observe actuellement en Europe non seulement une montée mais également une installation dans les paysages politiques de mouvements à tendance national-populiste (l'alliance entre la Lega et le Mouvement Cinq Etoiles en Italie en est la preuve la plus récente) mais également, dans le domaine médiatique (mais pas seulement : les mouvements dits antifa en sont l'incarnation la plus évidente), une utilisation parfois abusive de certains termes à forte connotation historique comme l'est le mot fasciste. L'étude de
Philippe Burrin est purement historique mais elle permet néanmoins de situer à la fois chronologiquement mais également sémantiquement et politiquement une séquence forte de l'Histoire européenne et mondiale : la dérive fasciste des années 1920 jusqu'à la Seconde guerre mondiale.
Philippe Burrin décrypte minutieusement ce qui fonde un régime fasciste, qui est avant tout un régime totalitaire, c'est-à-dire englobant la société dans son ensemble et ayant pour projet d'en régler les questions liées à la sphère publique (système politique, économique, social, culturel) et privée (croyances, rites, modes de pensée ...). Les totalitarismes visent à mettre sous tension une société entière afin de permettre l'avènement d'une idéal : communiste dans le cas de l'URSS stalinienne, nationale et raciste dans le cas de l'Italie et de l'Allemagne des années 1920-1940. A la discipline et au culte du chef vient s'ajouter la vertu du combat dans les principes des régimes fascistes. La société fasciste est une société de maîtres qui doit dominer les sociétés inférieures. Inhérente à cette vision hiérarchisée des sociétés humaines, la guerre est inéluctable, à la fois moteur et fin en soi des régimes fascistes.
Philippe Burrin fait la part belle au nazisme dans son étude. Il étudie tant ses principes idéologiques que son assise populaire (le nazisme est d'ailleurs difficile à définir selon sa base, très fluctuante au fil des années : d'abord parti des classes moyennes de droite (artisans et commerçants), puis parti des élites conservatrices, parti aussi d'une classe moyenne aspirant à la société de consommation, parti des femmes aussi) et les résistances qu'il rencontra (l'Eglise, en premier lieu et comme en Italie). Burrin analyse aussi les étapes de l'arrivée au pouvoir et détermine le mode de fonctionnement politique de ces partis nouveaux et extrêmes : compromis avec les élites en place, dualité entre l'Etat et le parti (non pas dans une logique d'émulation mais plutôt de compétition), exaltation du chef pour garantir le soutien populaire. Il est à noter que, même dans les dernières années de guerre, ce soutien ne déclina que peu.
On regrettera que, étant donnée la qualité de l'analyse sur le nazisme, l'auteur n'ait pas effectué la même démarche en ce qui concerne le fascisme. En revanche, on ne regrettera pas l'étude à laquelle il se livre sur l'existence ou non d'un fascisme français, et sur la fascination qu'exerça l'Allemagne nazie sur les milieux d'extrême-droite français (mais pas que : à gauche aussi, des hommes furent attirés par le nazisme et ce dernier, par l'image qu'il renvoyait, inspira grandement même la Jeune Garde Socialiste) dans les années 1930. Les cas du colonel La Roque ou d'un auteur comme
Pierre Drieu La Rochelle sont édifiants : si le premier, à la tête des Croix-de-Feu, assume un nationalisme exacerbé et si le second appelle de ses voeux une rénovation de la société française par la discipline, l'un et l'autre s'inquiètent du bellicisme du voisin allemand et demeurent pacifiques. En cela réside l'une des contradictions du faible fascisme français : vouloir la victoire du fascisme comme idéologie, c'est accepter la défaite de la France comme patrie.
Cette défaite, qui intervient en juin 1940, Pétain l'accepte justement pour rebâtir la France selon ses idéaux : travail, famille, patrie. Derrière le pétainisme, qu'on ne peut qualifier de fascisme mais plutôt d'autoritarisme, c'est l'image d'une France éternelle mais sans consistance réelle qui est célébrée. Parce que les autorités de Vichy croyaient en une rénovation morale de la France, parce que ces mêmes autorités espéraient une place de choix aux côtés d'un Troisième Reich vainqueur de la guerre, ce régime de Vichy s'est dévoyé et a mené une politique collaborationniste qui a une grande importance, notamment dans l'Holocauste.
Fascisme, nazisme, autoritarisme est donc une étude solide pour comprendre ces phénomènes politiques qui ont duré à peine 20 ans mais ont marqué immensément l'histoire européenne et mondiale. L'expérience totalitaire, traumatisante, n'a pas empêché les autoritarismes de se développer après la Seconde guerre mondiale. On retiendra enfin que l'Europe, telle qu'elle s'est construite jusqu'à aujourd'hui, a pour bases les ruines fumantes de ces projets de société globalisants et extrêmes.