Lancez une conversation sur n'importe quel sujet touchant, de près ou de loin, aux relations humaines (ça fait pas mal de sujets possibles...) : actualité, économie, psychologie, médias, religion, politique... Si au bout de cinq minutes environ votre interlocuteur parle de fascisme ou vous traite de facho, il y a 90% de chance que vous en teniez un. Un abruti et/ou un sectaire. (Mais peut-on être sectaire sans être plus ou moins abruti?...) Je ne saurais que trop conseiller à ces gens là de lire ce livre, excellente synthèse sur la question du fascisme par l'un de ses plus grands spécialistes. Remarque, ce livre ne s'adresse pas vraiment à eux. Ils y seraient un peu perdu: de la nuance, de la complexité, de l'érudition (sans pédantisme), de la profondeur, de la rationalité... Finalement, la définition d'un dictionnaire devrait leur suffire, voir Wikipédia pour les téméraires.
Mais en me relisant je me trouve bien péremptoire... Ne serais-je pas moi aussi un peu sectaire? C'est bien possible et c'est assurément un tort: on est après tout toujours le con de quelqu'un d'autre.
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On retrouve des éléments importants de l'idéologie, de la culture et du style politique fasciste dans des traditions politiques préexistantes, de droite aussi bien que de gauche: dans l'héritage du nationalisme jacobin, dans les mythes et dans les liturgies laïques des mouvements de masse du XIXe siècle, dans le néoromantisme, le spiritualisme et le volontarisme des diverses "philosophies de l'action", dans l'activisme et dans l'antiparlementarisme des mouvement radicaux antilibéraux d'une nouvelle droite et d'une nouvelle gauche révolutionnaire, qui opéraient en Italie et en Europe avant la Grande Guerre. Dans l'idéologie fasciste confluèrent les idées et les mythes de mouvements culturels et politiques antérieurs, tels que l'avant-garde florantine de La Voce, le futurisme, le mouvement nationaliste et le syndicalisme révolutionnaire.
Le fascisme hérita en outre de cet ensemble d'idées, de mythes et d'états d'âmes que nous avons appelé radicalisme national [...] Héritage plus ou moins factice du mythe mazzinien du Risorgimento comme révolution spirituelle inachevée, le radicalisme national affirmait le primat de la nation en temps que réalité idéale pérenne et valeur suprême de la vie collective, méprisait le rationalisme positiviste et le matérialisme, exaltait les forces spirituelles comme les seules capables de former la conscience moderne de l'Italie pour la conduire vers de grandes entreprises. Dans ce but, le radicalisme national voulait construire un État nouveau, conçu comme une communauté nationale soudée par une foi commune et guidée par une nouvelle aristocratie de jeunes, capables d'accomplir la révolution spirituelle amorcée avec le Risorgimento, à travers la régénération des Italiens, afin de porter l'Italie à l'avant-garde de la civilisation moderne.
Quand en pleine Seconde Guerre mondiale, la politique de Mussolini commença à accumuler les défaites, le duce accusa les Italiens de ne pas être un peuple digne de son Chef. Il répétait que les italiens étaient un médiocre matériau pour réaliser ses "grands desseins": "C'est la matière qui me manque. Michel-Ange lui même avait besoin de marbre pour faire ses statues. S'il n'avait eu que de l'argile, il n'eût été qu'un céramiste." Ainsi s'exprima Mussolini quelques jours après avoir décidé et proclamé l'intervention de l'Italie dans le conflit.
Le fasciste ne choisissait pas une doctrine, pas plus qu'il ne la discutait, parce qu'il était avant tout un croyant et un combattant. Le fascisme apparut comme une manière de se soustraire à tout ce qui donnait dimension et mesure à la vie sociale et la privait de son caractère pittoresque, mystique, héroïque et aventureux. L'aventure, l’héroïsme, l'esprit de sacrifice, les rituels de masse, le culte des martyrs, les idéaux de la guerre et du sport, le dévouement fanatique au chef: tels étaient les caractères du comportement du groupe fasciste. C'était une attitude essentiellement subjective envers la politique, et ce n'est pas sans raison qu'on a parlé de "romantisme" fasciste pour définir une conception esthétique de la vie politique.
Le mythe de la révolution, la foi révolutionnaire dans la puissance régénératrice de la politique, est la manifestation universelle d'une sacralité proprement moderne qui a animé des mouvements opposés et ennemis, partageant une même volonté de conquérir la modernité afin de façonner l'avenir selon le modèle de leur idéologie.
L'idéologie fasciste, en tant que manifestation de l'irrationalisme politique, se présentait sous les deux formes contradictoires de l'exaltation vitaliste de l’existence comme course vers la grandeur et la mort héroïque ou comme réalisme cynique et sans préjugé, manque absolu de valeurs, simplification de la vie civile et sociale réduite à la manifestation et à la volonté de puissance: "le fascisme exige trop de l'homme", l'envoyant au-devant d'une "mort horrible et stérile" au moment même où la vie lui sourit dans tout l'orgueil de sa jeunesse.