Citations sur La Journée d'un scrutateur (23)
En ces années-là, le Parti communiste italien s'était proposé, entre autres fonctions, d'incarner un idéal libéral qui n'avait jamais encore, dans ce pays, trouvé son expression. De ce fait, le corps d'un simple communiste pouvait abriter deux personnages à la fois : un révolutionnaire intransigeant et un libéral olympien. Plus le communisme mondial, au cours de cette période de tension, s'était fait schématique et dépourvu de nuances dans ses expressions officielles, plus, dans l'âme du militant, ce que le communisme perdait en richesse intérieure à se modeler sur un rigide bloc de fonte, le libéral le retrouvait en facettes et iridescences.
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Des jeunes gens, le crâne rasé et la barbe hirsute, étaient assis là en demi-cercle, sur des fauteuils, les mains cramponnées aux accoudoirs. Ils portaient des robes de chambre bleues à rayures dont les pans descendaient jusqu'à terre, cachant le vase disposé sous chaque siège ; mais la puanteur stagnait et des rigoles se perdaient sur le carrelage, entre leurs jambes nues aux pieds chaussés de socques. Ils avaient cet air de famille qu'on rencontre partout au Cottolengo*, et leur expression était celle de tous : leur bouche déformée s'ouvrait sur des dents plantées de travers en un ricanement qui tenait du sanglot ; et le tapage qu'ils faisaient se diluait en un jacassement étouffé de rires et de pleurs.
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*Hospice tenu par des religieuses, et où se situe le bureau de vote de ce récit
On sait ce qu'il en est de ces moments où il semble que nous ayons tout compris : il se peut qu'une seconde plus tard, comme nous voulons préciser ce que nous venons de saisir, tout nous échappe.
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Même la ville des plus grandes imperfections, songea le scrutateur, connaît des heures parfaites : l'heure, l'instant où dans toute cité paraît la Cité.
(Phrase de conclusion du récit)
L'humain va jusqu'où va l'amour, il n'a d'autres limites que celles que nous lui donnons. (p.94).
le vieux paysan n'avait rien choisi, il n'avait pas voulu le lien qui le retenait dans cette salle, sa vie était ailleurs, sur ses terres, et pourtant il faisait le voyage le dimanche, pour voir mâcher son fils.
Les notions de progrès de liberté, de justice n'appartenaient-elles donc qu'aux hommes valides ( ou à ceux qui dans d'autres conditions auraient pu l'être) ? N'étaient-ce que des idées de privilégiés? Fallait-il leur refuser l'universalité? (p.57).
Placer trop haut la beauté, n'est-ce pas faire un premier pas vers un monde inhumain, où les infirmes seront précipités du haut d'un rocher? (p.34).
Pendant ce temps, les autres faisaient voter un malade. On l'isola, lui et la petite table, derrière le paravent déployé; cela fait, et comme il était paralysé, une sœur vota à sa place. On retira le paravent; Amerigo vit une face violacée, révulsée comme celle d'un mort, une bouche béante, des gencives nues, des yeux hagards. On ne découvrait rien de plus que cette tête enfoncée au creux de l'oreiller; l'homme était aussi raide qu'une pièce de bois, mis à part un râle qui sifflait au fond de sa gorge.
.. le vieux paysan n'avait rien choisi, il n'avait pas voulu le lien qui le retenait dans cette salle, sa vie était ailleurs, sur ses terres, et pourtant il faisait le voyage le dimanche, pour voir mâcher son fils