« Quelque grandeur que les individus en tirent, à considérer la misère de nos frères, il faut être un fou, un criminel ou un lâche pour consentir à
la peste, et en face d'elle le seul mot d'ordre est la révolte. » (Camus,
La Peste)
C'est ainsi que
La Peste nous propose une révolte, celle contre l'absurdité à laquelle les habitants d'Oran font face. Dans cette ville cruellement ordinaire s'installe un rude fléau. La maladie fait rage, les frontières sont closes et seule la lutte pour la vie n'a de sens. Camus tourne son roman comme une chronique : tout le long de l'oeuvre, un narrateur inconnu (qui ne révèlera son identité qu'à la fin) expose les points de vue des divers personnages. Ces fragments de vie donnent une épaisseur au réel et permettent de développer avec plus de sincérité les réactions humaines face à l'horreur et à l'inimaginable. On se perd parfois entre ces brides d'existence où se mêlent espoir et lassitude. Chaque homme (car les personnages sont essentiellement masculins) réagit à sa manière en luttant ou en fuyant. Mais il n'est pas question de jugement de valeur : le narrateur est neutre, presque effacé devant les événements. Ici il n'y a pas de héros, chacun agit pour survivre mais jamais de façon exceptionnelle. Leurs destins sont liés par la même catastrophe et la même angoisse : la maladie n'épargne personne et rend tous les hommes égaux.
On compare régulièrement ce fléau à la montée du nazisme ainsi qu'à l'organisation de la résistance. Cette analogie a d'ailleurs été confirmée par Camus lui-même. Mais ne serait-ce pas réducteur de cantonner
La Peste à cette allégorie de l'occupation allemande ? A mon sens, il est avant tout question d'humanité. Dans ce roman, le rythme est lent et l'intrigue dépouillée, ce qui permet de se fixer uniquement sur les hommes et leurs réactions. L'enfermement, la peur et la séparation sont leur quotidien. de ces habitudes ressortent parfois des images frappantes : un enfant qui agonise, une amitié naissante face à la mer, et finalement un regain d'espoir devant une guérison qu'on n'attendait plus.
Finalement, Camus met en avant ses thèmes de prédilection, à savoir l'absurde et la révolte. L'absurdité d'un isolement qui ne mène qu'à la mort, mais qui pousse les habitants à la révolte : ils continuent de se battre et de vivre malgré la mort imminente. Face à ce fléau, les hommes ne peuvent rien et sont renvoyés brutalement à leur modeste condition. On retourne ainsi à l'essence même de l'humanité. L'auteur a ce style subtil qui lui permet en quelques mots de dresser une scène au réalisme poignant, de toucher le coeur d'émotions insaisissables, d'effleurer du bout de sa plume l'étrangeté et la vérité de l'être humain. Sans être enjolivé, l'homme reste surprenant et remarquable. Camus le dira lui-même en fin d'oeuvre : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. ».