Avant de se faire une petite place auprès des grands noms du thriller français avec
Criminal Loft,
Armelle Carbonel avait déjà auto-publié deux romans chez The Book Edition en 2009 :
La maison de l'ombre et
Les marais funèbres.
L'héroïne de ces marais funèbres se nomme Andy Martin et a de nombreuses similitudes avec la romancière, qui s'est vraiment projetée dans son personnage. D'abord, Andy est auteur de thrillers. Ensuite, Andy a écrit ... "
La maison de l'ombre".
"J'ai beaucoup aimé votre dernier thriller,
la maison de l'ombre." lui dit dans le roman une collègue écrivain.
Mais ce n'est pas tout. Toutes les deux parlent de l'écriture comme d'un héritage génétique. En interview,
Armelle Carbonel confiait que sa passion pour l'écriture remontait à ses huit ans et était un peu génétique puisque sa mère et sa grand-mère ont beaucoup écrit, et qu'un de ses grands-pères était journaliste. Et dans le livre, Andy confie :
"j'écris depuis la petite enfance. Un héritage génétique que je tiens de ma grand-mère maternelle."
La dernière similitude que j'ai repérée, c'est l'écrivain
Cizia Zykë. L'un des préférés de la nécromancière, à qui elle rend hommage en quelque sorte en faisant lire à Jean - le colocataire d'Andy - un de ses livres.
"La pâleur de la lune enveloppait le canapé sur lequel Jean était affalé, absorbé par la lecture d'un roman de
Cizia Zykë."
Andy est donc auteur de thriller, mais son éditeur lui confie un contrat unique d'un autre genre : Rédiger la biographie de Caroliane Becker, célèbre actrice qui s'est retirée du cinéma il y a six ans.
Pour pouvoir interviewer la richissime comédienne, Andy doit se rendre jusqu'à son manoir, en Ecosse : Une demeure hostile entourée de bois et de marais. Elle sera d'abord accueillie par Anne, la sévère gouvernante. Elle apprend très vite que son hôtesse Caroliane s'adonne depuis son retrait des caméras à sa véritable passion : la peinture.
La vraie raison de la venue d'Andy ne serait-elle pas le vernissage qui aura lieu dans quelques jours à la chapelle cistercienne, où sont également invités les six ennemis jurés de l'actrice ?
Même si le qualificatif de thriller est partout ( sur la couverture, sur la tranche, dans les genres écrits par deux des écrivains du livre, dans les films de Caroliane, dans les scénarii d'un invité ) j'ai eu personnellement l'impression de lire ... un épisode des contes de la crypte. L'ambiance est angoissante, surnaturelle, voire gothique.
A commencer par les personnages, parfois inquiétants, souvent stéréotypés :
- Andy est une angoissée. Elle est sous anxiolytiques et est sujette aux crises de panique. On sait très vite que la source de ses maux est son ex-mari.
"Ne pense pas à lui. Oublie ce qu'il t'a fait."
- Caroliane est quant à elle distante, et n'a étrangement que très peu de temps à accorder à son invitée pour lui dévoiler des éléments de sa biographie. Elle est décrite telle un fantôme, à la peau diaphane et aux yeux noirs de jais.
- Anne, la gouvernante, a quant à elle la peau parcheminée telle une momie. Elle est hautaine et moralisatrice, insinuant qu'Andy est folle à chaque fois que celle-ci remarque un détail qui cloche, entend un bruit curieux. C'est elle qui expliquera les règles à respecter dans le vieux manoir, notamment l'inaccessibilité du second étage.
Et pour compléter ce trio féminin, il y a Jean, colocataire parisien d'Andy, homosexuel, lui même acteur mais au chômage. Il y a également le bedonnant éditeur près de ses sous qui met une touche d'humour dans le récit oppressant. Nous avons aussi le couple écossais du château voisin, qui a perdu son fils vingt ans auparavant, victime des marais sournois. Et nous avons les six invités prestigieux ( écrivains, scénariste, actrice et peintre de fresques érotiques ), des personnages décalés, uniques en leur genre, qui ont pour point commun leur richesse et surtout leur haine de Caroliane.
"Je dirais même que chaque personne dans cette pièce souhaiterait sa mort."
Ensuite, les descriptions très visuelles, quasi cinématographiques, ajoutent encore à ce côté téléfilm d'horreur.
Difficile de créer des lieux plus lugubres qu'un vieux manoir dans les landes brumeuses d'Ecosse. Une référence est d'ailleurs faîte au film "Le chien des Baskerville".
"Le manoir se découpait dans l'obscurité tel un spectre prisonnier d'arbres séculaires."
"La vie magnifique dévoilait les plaines embrumées de l'Ecosse profonde."
En outre,
Armelle Carbonel joue avec les couleurs et les lumières qu'elle a particulièrement travaillées, et notamment les bougies ou torches qui s'éteignent parfois, ajoutant au spectacle d'ombres et lumières.
"L'ombre torturée des branches valsait dans la pièce comme des doigts squelettiques palpant le vide."
Et bien sûr, il n'y a aucun téléphone au manoir et le réseau est inopérationnel.
"Mais on ne capte pas dans ce bled paumé."
En plus des images, nous avons également le son. Souvent celui qui inquiète ou surprend, pour parfaire la macabre ambiance :
"Quelqu'un dehors, martelait la porte d'entrée comme s'il suppliait qu'on lui ouvre."
"Le vent s'était levé, griffant les carreaux dans une longue plainte hurlante."
Et c'est même encore mieux qu'à la télévision puisque nos autres sens se retrouvent également sollicités au fil des pages :
- L'odorat : "Elle sentait le mal flotter autour d'elle comme une flagrance tenace.", "son haleine empestant l'alcool"
- Et le toucher : "comme si un souffle glacé l'avait transpercé"
Armelle Carbonel nous livre donc un thriller angoissant et mystérieux, en baignant son lecteur dans une atmosphère de demeure hantée et en utilisant tous les codes possibles pour imposer un climat effrayant, où on sursaute avec les personnages à chaque bruit inhabituel, à chaque évènement inexplicable ( qui dépose des missives cachées dans le tiroir de la table de chevet d'Andy ? ) jusqu'à partager nous aussi la
paranoïa d'Andy. Peut être même en fait elle un peu trop puisque malgré un excellent départ le roman s'essoufle vite à force de jouer sur des clichés.
D'une certaine façon, le défaut de
Criminal Loft était d'être très formaté "thriller à l'américaine" alors qu'ici l'écriture, sans doute moins retravaillée, est plus sincère, sonne de façon plus naturelle. Mais on devine la chute finale relativement rapidement si on est habitué au genre et en dépit de quelques trouvailles intéressantes, ce roman m'a laissé une impression de déjà-vu et souffre de quelques incohérences.
En outre les fautes sont assez nombreuses et lire "Yorkshear" au lieu de "Yorkshire", "un geste théâtrale", "un jugement amère", "resterait à jamais graver dans les mémoires" a fini par m'abîmer les yeux.
Mais je reste convaincu que la nécromancière, qui en était encore ici à ses prémices, va encore accroître sa notoriété et devenir rapidement un auteur incontournable, raison pour laquelle je suis ravi de m'être procuré ce livre avant qu'il ne devienne introuvable.