Les critiques ont souvent la dent dure. C'est leur métier, me direz-vous, d'accord mais quand même… Pendant des dizaines d'années (au moins les trois premiers quarts du XXème siècle) ils ont voué aux gémonies (vous n'avez jamais voué aux gémonies ? vous devriez, ça détend) ce qu'ils appelaient de la littérature de gare : tous ces livres (polars, espionnage, sentimental, etc.) qu'on achetait (avant les liseuses) pour attendre le train, lire dans le train, et oublier dans le train en redescendant du train. C'était à leurs yeux de la sous-littérature, ou de la para-littérature (entendaient-ils par là que c'était le pain quotidien du 1er RHP de Tarbes ? je n'ose l'imaginer). Ils arguaient en tous cas que c'était écrit à la va-vite, et lu encore plus vite (surtout dans le TGV), racoleur, vulgaire, et dont la qualité littéraire était aussi épaisse qu'un sandwich SNCF.
C'était un jugement d'époque, que nous trouvons excessif aujourd'hui, d'une part parce que nous trouvons dans les « Relay » tous les livres qu'on veut, et d'autre part, s‘il y avait du déchet dans ces présentations, il y avait aussi des choses pas mal : plusieurs livres de ma bibliothèque proviennent de cette source, et je suis prêt à parier que c'est pareil chez vous…
Guy des Cars (1911-19993) a longtemps été la cible de ces critiques : ils le surnommaient « Guy des Gares » et torpillaient chacun de ses livres dès qu'il était paru. Il est vrai que dans son abondante bibliographie, beaucoup de titres traitent de sujets difficiles, voire sordides ou même scabreux, (handicap, déviations diverses, meurtres…), mais on peut trouver, surtout dans ses premiers écrits (les années 50) quelques perles rares, plutôt bien écrites, et dont le sujet fort peut non seulement nous intéresser, mais aussi nous toucher et nous émouvoir. «
L'impure » (1946) et «
La brute » (1951), en sont deux exemples, que je vous recommande. «
L'impure » raconte le drame d'une mannequin top-modèle qui a contracté le virus de la lèpre, et voit sa vie basculer. Un roman pathétique et bouleversant.
«
La brute » est l'histoire d'un sourd-muet-aveugle de naissance,
Jacques Vauthier, qui se trouve entraîné malgré lui dans une affaire de meurtre, il y joue sa tête (au sens propre du mot). Son seul espoir est placé dans Maître Déliot, un avocat que rien ne destinait à une telle affaire. Plus très jeune, nanti d'une expérience longue mais banale, il a en lui une telle humanité, une telle opiniâtreté qu'il va prendre l'affaire en main et que… La suite dans votre point « Relay » préféré (ou ailleurs, il est possible qu'on ne trouve plus ce titre facilement, bien qu'il soit régulièrement réédité).
Dans ce roman, Guy des Cars excelle à dresser des portraits saisissants (le présumé coupable, l'avocat), à analyser avec un oeil clinique la machine judiciaire, et à distiller tout au long de l'histoire un courant d'empathie et d'émotion, de révolte parfois devant l'injustice du système ou celle des hommes.
Toute l'oeuvre de Guy des Cars n'est pas à redécouvrir. Mais quelques romans, dont ces deux-ci, peuvent être sortis de l'oubli, pour le bonheur du lecteur.
Fermez les portières, attention au départ, ça y est vous êtes partis ! Mais ne descendez pas avant l'arrêt, ce serait dommage, et vous risquez de le regretter !