Sacrilège ! Sa main tremble, son coeur de vigneron bat dans ses tempes. Il demande pardon à sa vigne, à sa terre, mais sa colère l'empêche de renoncer à l'expérience et le lendemain matin, il retourne chez les deux importants, tenter sa chance.
-Encore vous ! grogne le notaire. Je croyais vous avoir dit…
-Je n'ai pas oublié monsieur, fait Célestin en exagérant l'humilité, mais il m'est revenu que j'avais avec moi un autre cru, plus velouté, plus délicat.
-Bon ! grommelle le rupin. Voyons çà !
Célestin verse. Ce vin est moins sombre en effet, mais l'homme méfiant goûte du bout du bec, déglutit attentivement, puis étonné, reprend une gorgée qu'il garde plus longtemps et une troisième qu'il sirote avec délectation.
-Ah mon ami, murmure-t-il alors, les yeux fermés sur le parfum qui embaume son palais. Voilà ce que j'appelle du vin ! Du vrai vin ! Elaboré par la magie de la terre, la subtilité du soleil…D'où est-il, dites-vous ? Irancy ? Je vous en prends, tenez, quatre bouteilles sur le champ. Et quand vous serez rentré, faites-moi livrer un tonneau ! De celui-ci n'est-ce pas ! Pas d'erreur. Ah non…l'autre, gardez-le. Comme bitume pour goudronner vos routes…
*Le vigneron d'Irancy*
-Fille de bûcheron, quitte ce logis et mène une vie de patouillons !
Son bâton est en bois de coudrier, le bois des fées, des magiciens et des sourciers. Une bourrasque soudaine tord les feuillages autour de la maison, retrousse le chaume du toit et Claudine disparaît des bras de sa mère. Puis le vent tombe aussi brutalement et l'on entend une petite voix s'élever de la boue nauséabonde où la bûcheronne jette ses eaux usées :
-Coa…coa…coa…
Une grenouillette aux yeux dorés patauge dans la gadoue et cherche en coassant à capter l'attention des humains.
Toinette et Toinot la regarde avec épouvante. C'est leur fille ! Et ils comprennent, mais trop tard, que la vieille n'est pas une vieille ordinaire. C'est Sauvagine, la fée acariâtre ! Sauvagine, toujours à l'affût de ce qui peut flatter son mauvais caractère et déchaîner ses colères.
*Coassine*
Evariste Galois fait partie de ces êtres qui ne s'apprivoisent pas. Mathématicien de génie, provocateur irrésistible, républicain militant, il a traversé le début du XIXe siècle telle une comète. Flamboyant, éphémère. Mort à vingt ans pour une querelle de pacotille, il aura malgré tout eu le temps de d'être arrêté deux fois, jugé, incarcéré en prison pour crime politique, et, bien sûr, de marquer l'histoire des mathématiques. Evariste a mené, à cent à l'heure, une vie digne d'un roman. Jacques Cassabois nous livre ici le récit de ses dernières années, dont il nous lit le premier chapitre.