Avoir l’air con peut être utile
L’être vraiment s’rait plus facile.
En quelques couplets, Coluche semble avoir tout dit.Provocation, conscience d’avoir été lancé comme un produit de consommation courante, désir de gauler le système, sympathie pour les petits, lucidité.
La meilleure défense, c’est l’attaque. C’est sans nul conteste ce que s’est dit Coluche. Devancer les critiques,leur couper l’herbe sous le pied. Précaution inutile pourtant, tant l’accueil de ce nouveau spectacle va être unanime.
La presse met clairement en avant les failles qui transpirent dans ces sketchs. Coluche parvient à mettre de la distance entre lui et ses personnages tout en les incarnant.Il a l’air de dire : ces imbéciles ordinaires, ce n’est pas moi, mais ça pourrait. Sous-entendant au passage :ce n’est pas vous non plus, mais ça pourrait.
Dans le fond, Coluche a de la tendresse pour son personnage. Il dit des horreurs, mais il n’est rien d’autre qu’un brave prolo qui n’a pas compris que son intérêt était de combattre le système plutôt que de s’en faire le chien de garde.
Cette ambivalence se retrouve dans tous les personnages qu’incarne Coluche sur scène. C’est aussi sans doute cela qui fera notamment passer le sketch entre les mailles de la censure.
Tout le monde le sait de toute façon. Coluche et Bouboule récupèrent des
choses « tombées du camion » comme on dit pudiquement.Tant pis s’ils doivent secouer un peu le camion pour que le matériel en dégringole. Tout le monde s’enfout. La propriété, c’est le vol de toute façon.
Le vol, on va le pratiquer, à petite échelle, poursurvivre. Coluche et Bouboule donnent le la, mais les autres s’y mettent. On « réquisitionne » de la bouffe pour nourrir tout ce petit monde. Les supermarchés qui se trouvent à proximité du Café de la Gare ont droit à des visites régulières. Bouteille, qui a tout du voleur à la petite semaine, se fait une belle tête de coupable, regard fuyant, rouge au front. Immanquablement, il se fait
attraper à la sortie. Sauf qu’il n’a rien pris.
Coluche sait au moins unechose : les rêves ne valent que pour être réalisés. Cela ne sert à rien de gloser ou de théoriser une société idéale si l’on n’est pas prêt à la mettre en œuvre. La pensée est stérile si elle ne se dote pas d’une bonne paire de bras pour la mettre en marche. Romain Bouteille le théoricien
vient de rencontrer Coluche le pragmatique.
Coluche était le président de cœur des prolos, des sans-voix, des dérangés du système, l’homme qui gueulait à l’oreille de tout le monde. Pourquoi murmurer ? On risque de ne pas se faire entendre !
Pendant une dizaine d’années, il va secouer la France de bas en haut, du bas vers le haut, pour décoller la pulpe qui reste désespérément au fond et qui semble s’accommoder de cette stagnation, comme s’il n’y avait pas moyen d’aller voir ce qui se passe du côté du goulot dela bouteille.