Libres dans leur tête est un roman riche de plusieurs thèmes : privation de liberté, liberté intellectuelle inaliénable (grâce à l'art et la littérature notamment), justice, sentiment d'injustice, dépression, tentative de suicide chez les détenus, reproduction à l'intérieur de la prison des mécanismes sociaux en vigueur à l'extérieur, la réinsertion, la deuxième chance, la préparation de la sortie et d'une nouvelle vie.
C'est une chronique émouvante, tout en sensibilité, de la vie carcérale. Rédigée au présent, elle provoque une immersion dans le quotidien des détenus et a suscité en moi une réflexion sur la justice, à la fois en tant qu'idéal et administration concrète.
Qui n'a pas son idée, soit abstraite, soit dictée par l'expérience, du système judiciaire ? Trop sévère ? Trop laxiste ? On entend souvent tous les discours : entre débats politiques, clichés issus des séries TV ou des thrillers.
Ce roman a fait resurgir mon expérience de jurée tirée au sort et le souvenir de la formation que le magistrat qui présidait la cour d'assises nous avait au préalable donnée. Nous n'avions pas visité de prison mais il nous avait parlé de la lourde responsabilité que représentait le fait de condamner un homme ou une femme à une peine de prison, de la nécessité de tenir compte de plusieurs paramètres : la victime et sa famille, la protection de la société et la personnalité du présumé coupable (son histoire, son passé). Ainsi, il est possible de rendre la justice, de prendre une décision équilibrée, dans le but de satisfaire toutes les parties, à mi-chemin entre la sévérité de l'avocat général et l'indulgence de l'avocat de la défense, qui s'exprime en dernier pour convaincre les jurés. le président avait ajouté que les détenus sont rarement des monstres calculateurs.
Ce sont ces hommes ordinaires, dont la vie a un jour basculé, que
Stéphanie Castillo-Soler décrits dans
Libres dans leur tête. Cette lecture m'a permis de répondre à la question que je m'étais posée à l'époque : et après la condamnation, que se passe-t-il pour ces hommes et ces femmes ?
Libres dans leur tête s'attaque à un sujet tabou et peu consensuel, rarement abordé car la compassion va naturellement aux victimes et non aux coupables, que nous avons tendance à voir comme des monstres, l'incarnation du mal, qui a bien mérité son châtiment, et qui doit purger sa peine dans des conditions dont presque personne ne se soucie.
Mais les détenus sont rarement des monstres. Serge, l'ancien prof dont la vie a basculé la nuit où il a tué son cambrioleur, est loin d'en être un. Il tient désormais la bibliothèque de la prison. Que dire du mari qui a pris le volant après un dîner arrosé ?... Son épouse vient le voir au parloir, en compagnie de la soeur de Laurent, Manon.
Laurent, étudiant en école de commerce, qui a accidentellement tué le dealer de sa soeur…
Il voulait lui signifier que Manon ne lui achèterait plus de drogues et rembourser l'intégralité de sa dette. le ton est monté, un malheureux coup de poing pour se défendre, la tête du dealer qui heurte fatalement le mauvais endroit…
Depuis, les caïds de la prison veulent sa peau car il a tué un des leurs. Serge utilise son aptitude à la bagarre contre les injustices pour négocier avec ces voyous et protéger son jeune ami.
Quant à Romain, il a suivi des potes qui ont eu la brillante idée de trouver l'argent pour financer leur consommation de cannabis chez une vieille dame. Elle avait la réputation de cacher ses économies sous le matelas. Elle est rentrée chez elle à l'improviste et un des faux amis de Romain l'a tuée.
À travers ce livre,
Stéphanie Castillo-Soler rend un bel hommage à tous ceux qui oeuvrent pour préparer la réinsertion de ces détenus, de ces hommes qui méritent qu'on les aide et qu'on leur donne une seconde chance, qu'on les accompagne. C'est le rôle du service socio-éducatif.
J'ai découvert également qu'il existait des associations caritatives de bénévoles qui écrivent aux détenus et que ce lien avec l'extérieur est très important pour chasser la dépression, les idées suicidaires liées à l'enfermement, au poids de la culpabilité, l'horreur de décevoir ses proches, l'angoisse de perdre leur soutien, leur amour. Romain, par exemple, voulait être un modèle pour son petit frère de famille d'accueil. Comment se relever après avoir commis de tels actes ?
« Seront-ils sûrs d'être définitivement à l'abri d'une autre défaillance ? […] Sauront-ils se réinsérer dans la société ? Leurs proches seront-ils à même de leur faire une nouvelle place, dans la mesure où ils reviendront différents de ce qu'ils étaient avant, à jamais marqués par cette terrible expérience ? »
Ce roman est court et pourtant il pose des questions essentielles qui font réfléchir, au-delà des préjugés.
Je me suis demandé si
Stéphanie Castillo-Soler, en tant qu'enseignante qui « porte un regard personnalisé sur ses élèves, s'efforçant de révéler le meilleur de chacun », n'avait pas réellement croisé la route de jeunes hommes tels que Romain et Laurent. Peut-être lui ont-ils inspiré ces personnages de fiction, ainsi que le pouvoir thérapeutique de l'art, de l'imagination et le message d'espoir que représente le coquelicot poussé contre le mur de la prison.
La force de cette fleur, en apparence fragile, est de se trouver là, « unique, délicate et ravissante au milieu de la laideur. Les garçons la contemplent un moment, sensibles à ce petit message d'espoir qu'ils décident d'y lire. » Comme un présage de l'avenir meilleur que je leur ai souhaité, après ce « dérapage » (comme ils disent entre eux), grâce au soutien, à l'esprit de solidarité, d'entraide, de toute une série de personnes.