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Voyage au bout de la nuit" est depuis quarante ans, LE livre dont on m'a le plus suggéré ou conseillé la lecture, je me souviens d'une collègue qui un jour me l'avait mis dans les mains d'autorité, je lui ai rendu un an plus tard sans l'avoir même ouvert...
De fait, je me rends compte que j'ai toujours eu une réticence inexplicable avec ce titre pourtant unanimement reconnu comme un chef d'oeuvre, écrit par un auteur à la plume célébrée comme étant l'une des meilleures de la littérature française.
Je fais cette digression pour expliquer l'état d'esprit avec lequel j'ai abordé ce livre quand j'ai une fois de plus été "incité" à faire cette lecture, je me suis dit que finalement, lire un classique et savoir enfin de quoi on parle ne serait pas de l'énergie mal employée.
Je vais, une fois n'est pas coutume, avoir deux ressentis car j'ai eu l'impression de lire deux histoires distinctes, une première partie picaresque et décalée dans les situations et dialogues, puis une partie plus sérieuse, plus sombre et d'une certaine façon plus éclairante sur cette entrée dans la nuit.
Une première partie qui voit Ferdinand Bardamu découvrir la
guerre et ses dangers, qui voit aussi Bardamu prendre conscience de sa lâcheté, ce qui le mènera à l'hôpital où il fera tout pour ne plus repartir au front, déjouant avec brio les suspicions de simulation qui l'auraient conduit au ... peloton d'exécution.
Il prendra ensuite un bateau pour l'Afrique et les colonies, la traversée dans une ambiance délétère sera mouvementée, je passe sur les péripéties dans les colonies avec leur lot de corruption, je passe également sur les circonstances rocambolesques qui amèneront Bardamu à New-York où il ne devra son salut qu'à sa compétence à trier et répertorier les puces des gens admis au centre de quarantaine où il échoue (allégorie ?). Bardamu vivra ensuite à New-York où sa vision du nouveau monde se voudra absurde et caricaturale au possible.
J'en profite pour parler de Robinson, l'autre personnage récurrent du roman que Bardamu croisera et retrouvera de façon fortuite à toutes les étapes du roman telle une ombre, un Robinson qui semble être un alter ego de Bardamu en mode dégradé...
Au vu de cette première partie, j'avoue ne pas avoir compris la passion que peut susciter ce roman, tout y est décalé et souvent foutraque, pas vraiment crédible non plus, une sorte d'hymne à la survie et à la débrouille qui ne m'a pas enchanté plus que cela.
La deuxième partie voit Bardamu revenu à Paris, il est devenu médecin et tente de vivre honorablement de son métier, la transposition entre les deux période est plutôt... inattendue.
J'ai beaucoup plus apprécié cette lecture à partir de là, j'ai aimé la peinture en gris sale d'un certain monde, celle du "petit peuple", la corruption et les magouilles ainsi que certaines compromissions dans lesquelles Bardamu va forcément tomber, puisque sa renommée ne lui donne accès qu'a une clientèle de pauvres, ce qui ne garantit pas le loyer.
Je vais passer sur les nombreuses aventures de Ferdinand Bardamu qui vous le savez vont l'emmener "au bout de la nuit", l'intérêt réside surtout dans l'exploration de sa psyché et dans l'extrême lucidité de ce qu'il est, sans déni aucun. La définition et l'explication d'un mal-être chronique et incurable nous seront données ainsi que la description d'un monde où tout semble corrompu tant dans les intentions que dans les esprits. Disons le, Bardamu n'est pas quelqu'un de "bien", ce n'est même pas un personnage attachant dans lequel on aimerait se reconnaître comme c'est souvent le cas avec les personnages de papier, il est foncièrement lâche et peu fiable, ce dont il est conscient.
Ce
voyage au bout de la nuit correspond peut-être à une vision pessimiste de l'auteur sur le monde tel qu'il le voyait ou le ressentait, je ne sais pas et je n'aurais pas la prétention d'essayer de le deviner.
Pour ma part je pense que le siècle qui me sépare de cette époque fait que je n'ai jamais pu m'immerger dans l'histoire ou même comprendre ce monde tel que nous le décrit Céline, je suis donc passé à côté de l'essentiel je le crains, j'ai lu bien des livres qui décrivaient des descentes aux enfers qui me parlaient mieux, rencontré des personnages bien plus abimés ou pervers, histoire de génération probablement, mauvais timing...
Il me reste la satisfaction d'avoir enfin lu ce classique parmi les classiques, merci Judith d'être celle qui m'a fait franchir le pas, même si ce
voyage au bout de la nuit ne m'a pas ébloui autant que toi.