Mon traître

Le salaud, c'est parfois un gars formidable qui renonce.

Il a dit que je fermais les yeux lorsque je jouais. Et que mon violon devenait la colère. Et que c'était ma façon d'être. Et mon combat. Et ma beauté. Et mon courage. Et ma valeur.

Personne ne naît tout à fait salaud, petit français. Le salaud, c'est parfois un gars formidable qui renonce.

Il détestait l'Angleterre parce qu'il aimait l'Irlande.

Je haissais ce journal. Je haissais tous les journaux. Je crevais des mensonges en papier. Je crevais des journalistes, de leur sang d'encre aux mains. Qui écrivent sans savoir, sans connaitre, sans penser. Ces gens qui se recopient les uns les autres et de faute en faute jusqu'à l'idiotie.

Je ne venais régulièrement en Irlande du Nord que depuis deux ans et j'avais des gestes d'invités. Je faisais sourire. Je poussais la porte d'un bar au lieu de la tirer, je regardais à gauche avant de traverser la rue, j'attendais que ma bière soir finie pour en commander une autre.

Rien ne disait le drame. La rue avait changé. La quartier tout entier. Tout ce qui se faisait la tristesse, le désarroi, tout ce qui empestait la peur et la mort, tout cela s'était éteint dans le pas des soldats.

Il trahissait depuis près de vingt ans. L'Irlande qu'il aimait tant, sa lutte, ses parents, ses enfants, ses camarades, ses amis, moi. Il nous avait trahis. Chaque matin. Chaque soir…

- Tu le sens?
- Quoi?
- Notre pays.
Une odeur de lourd, de mouillé, de ciel battant, de menaçant, de terre, de colère océane. p118

Je ne sais pas pourquoi elle a dit cela. Elle a dit qu'il y avait des Tyrone partout, dans les guerres comme dans les paix, et que ça ne changeait rien. Ni à la paix, ni à la guerre. Ni même à Tyrone. Elle a dit que nous l'avions aimé sans retenue parce que c'était lui. Et que nous lui avions donné notre confiance parce que c'était lui. J'ai hoché la tête. J'ai souri. J'ai revu nos gestes. Cette façon que nous avions de relever nos cols de vestes à la pluie. Nos verres levés. Sa main. J'ai regardé la salle. J'ai laissé faire une larme.