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sur 1735 notes
Après mon traîtreSorj Chalandon a la grande humanité de nous faire pénétrer l'envers du miroir de l'histoire de Tyrone Meehan.
« Je veux écrire. Pas avouer, encore moins expliquer mais raconter, laisser une trace. »
En quelques mots les bases sont là.
Le lecteur va cheminer dans les pas de Tyrone sur cette terre irlandaise qui lui colle à la peau et au coeur, malgré tout.
L'enfance reflue en vagues sauvages car ce fut une enfance pauvre, violente, faite d'humiliations. A l'âge de quarante et un ans son père meurt alors que Tyrone n'avait que onze ans. Cet homme était alcoolique et violent et pourtant indispensable à l'équilibre de cette famille de neuf enfants. Après sa mort, le malheur s'étend comme une contagion, les gens se détournent d'eux. C'est un oncle maternel, Lawrence qui les prend sous son aile et les installe à Belfast lorsqu'il a seize ans.
« Avec la guerre, nous savions que vivre dans le nord de Belfast deviendrait difficile. Ça a commencé en août 1941, par quelques pierres jetées contre la porte. L'inscription « salauds d'Irlandais » tracée au noir sur l'atelier de Lawrence. »
En ce 24 décembre 2006, où il écrit une sorte de journal, tout ce qui constitue l'homme qu'il est, est là comme tapi dans l'ombre d'une vie.
Cela montre aussi, avec finesse, que chacun vit sa famille de façon unique :
« Sheila, ma femme, n'a jamais aimé me suivre ici. Elle disait que c'était un caveau. Que l'ombre mauvaise de Patraig Meehan passait dans mon regard quand j'étais sous son toit. Mes frères et mes soeurs n'y sont jamais revenus […] Alors, j'ai gardé la clef. Moi seul. Comme on protège un lambeau de mémoire. »
Ce fut son refuge jusqu'au bout.
Les exactions des protestants, la haine, les luttes incessantes l'ont probablement précipité vers l'IRA en 1942.
Il y a un parallèle troublant entre cette enfance et cet enrôlement, la violence est là mais presque comme quelque chose de naturelle… Cela interroge sur ce qui se grave ainsi au plus profond de l'être.
« Je ne sentais plus l'odeur de la prison. Je n'entendais plus son métal. J'avais du sang dans la bouche, les oreilles en flammes, le nez écrasé. le vacarme était en moi. J'ai pensé aux coups de mon père. Ma tête en pierre. Mes yeux brûlants. Mes joues barbouillées de bave pour lui faire croire à des larmes. Il y eut le coup de sifflet brusque. Deux gardiens nous ont jeté une bassine d'eau glacée. J'avais froid de peur en arrivant, maintenant j'étais gelé de douleur. »
Le lecteur avance à pas feutrés, mais il reçoit en pleine face cette Irlande et ces événements tragiques. Pauvreté, ghettos, maisons brûlées, les blindés dans les rues.
L'écriture de Sorj Chalandon montre combien tout est nuance, il n'y a pas les bons d'un côté les méchants de l'autre. C'est un tout qui fluctue selon les événements, les ressorts de l'Histoire se tendent selon des décisions qui échappent au plus grand nombre.
C'est douloureux de façon extrême, car indicible et inaudible. Les mots qui sont là sur le papier sont empreints d'une humanité exceptionnelle comme l'est cette situation. Trahi, blessé par son Traître, l'auteur nous prend par la main, nous même vers la voie du non-jugement.
Tyrone était un homme seul depuis l'enfance.
Une écriture sublime, d'une puissance rare, il y a les faits donnés par le journaliste, et la beauté d'une déclaration d'amour à un pays qu'il a embrassé à travers cet homme-là. « Parce que c'était lui ; parce que c'était moi. »
C'est un récit d'une belle épure pour une déclaration d'amour exceptionnelle.
Intime, tumultueux et bouleversant, laissons les derniers mots à Tyrone :
« le regard d'Antoine a été l'un des plus beaux jamais portés sur moi, et aussi l'un des derniers.
Lorsque le petit Français me regardait, je m'aimais. Je m'aimais dans ce qu'il croyait de moi, dans ce qu'il disait de moi, dans ce qu'il espérait. Je m'aimais, lorsqu'il marchait à mes côtés comme l'aide de camp d'un général. Lorsqu'il prenait soin de moi. Qu'il me protégeait de son innocence. Je m'aimais, dans ses attentions, dans la fierté qu'il me portait. Je m'aimais, dans cette dignité qu'il me prêtait, dans ce courage, dans cet honneur. J'aimais de lui tout ce que son coeur disait de moi. »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 19 mars 2020.
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Dans ce roman, Sorj Chalandon donne la parole à son traitre, Tyrone Meehan, combattant de l'IRA et agent pour les services britanniques pendant plus de vingt ans. A 81 ans et retranché dans le cottage de son enfance à Killybegs, Donegal Co., il y attend la fin et revit un à un les grands moments de sa vie de son enfance de gamin battu par un père alcoolique à son arrestation par l'IRA au seuil de la paix, ses heures de combattant, l'enfer de la prison, la douceur de Paris dans son monde de briques, d'idéalisme et de vengeance.
Récit fort sur ce qui conduit à trahir. Mais trahir quoi ? qui ? Comment après plus de quarante ans de guerre, d'emprisonnements sauvages, ne peut-on pas être fatigué de lutter, de voir mourir les siens les uns après les autres ?
C'est un texte puissant et beau plein d'humanité, une chronique de l'histoire européenne contemporaine.
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Mon traître a été une de mes lectures les plus poignantes de 2016. Si j'ai attendu si longtemps avant de me plonger dans l'autre versant du diptyque, c'est non seulement par peur d'être déçue mais aussi pour ne pas que l'aventure s'arrête. Après avoir tourné la dernière page de Retour à Killybegs, je suis certaine que ce n'est pas fini, cette histoire me poursuivra encore un très long moment… Et, je ne pensais pas que ce serait possible, mais je crois que j'ai préféré ce second versant au premier, encore plus émouvant et puissant, à mon goût !

Dans Mon traître, Sorj Chalandon nous livrait son point de vue à travers le personnage de Antoine – Tony – le luthier parisien. Ici, c'est l'histoire de Tyrone Meehan – figure fictive incarnant le “réel” Denis Donaldson – qui nous est contée. de son enfance rude sur la cote ouest de l'Irlande (Killybegs) à ses derniers instants dans la vieille masure de ses défunts parents, en passant par ses premiers pas au sein de l'IRA, Tyrone se livre et émeut.
Mon traître nous avait quasiment pousser à le détester, Retour à Killybegs nous offre un nouveau point de vue, le sien. C'est donc avec force détails mais aussi une certaine pudeur, que ce combattant irlandais nous explique pourquoi et comment il en est arrivé à trahir ce pays, cette nation qu'il a tant aimée.

Personnage fictif vieilli et scènes scénarisées pour le besoin du roman, Retour à Killybegs propose pourtant une vision réelle de la situation de l'Irlande au coeur du XXe siècle : le conflit nord-irlandais plus présent que jamais, les grèves de l'hygiène et de la faim à Long Kesh (prison de Maze à Belfast), les attentats plus ou moins menés à bien… le tout vécu de l'intérieur.
Mais plus qu'un témoignage historique, le diptyque de Sorj Chalandon est aussi et surtout un récit sur l'humain. Il nous raconte ce qu'est l'appartenance à un pays, à une cause ; il nous raconte la trahison, la culpabilité, la peur, le mensonge mais aussi la fierté, les convictions, l'amitié et l'amour.

Tyrone Meehan m'a touchée. Il m'a émue aux larmes. Aujourd'hui il n'est plus seulement le traître de Tony, le traître des irlandais mais un homme ayant dû faire face à ses choix et actes passés. Un petit garçon ayant grandi dans une Irlande pauvre, un adolescent au milieu d'une nation déchirée, un homme combattant pour ses idées, un irlandais tentant de protéger ce-ceux qu'il aimait.

Le sujet se prête à l'émotion, c'est indéniable. Mais Sorj Chalandon possède ce je-ne-sais-quoi qui percute. Un vocabulaire simple, des phrases courtes mais une émotion palpable, une authenticité qui touche en plein coeur.
J'avais déjà apprécié la construction choisie pour Mon traître, je confirme la justesse de son utilisation ici : l'alternance des différents chapitres. Quelques-uns, courts, dédiés aux derniers jours de Tyrone Meehan, dans une sorte de présent de narration ; les autres, plus denses, racontant son passé. Tout son passé. Sans zone d'ombre, sans mensonge.

L'aventure de ce diptyque ne se limite pas aux deux romans offerts par Sorj Chalandon puisque, depuis la rédaction de ceux-ci, une pièce de théâtre a vu le jour (mise en scène par Emmanuel Meirieu) et, tout récemment, une adaptation graphique signée Pierre Alary a été publiée par les éditions Rue de Sèvres. Cette histoire a de l'ampleur, elle ne traite pas que du conflit nord-irlandais. Elle rapporte l'humain, le lien, l'émotion.
Si tous les titres proposés par Sorj Chalandon sont du même acabit, s'ils apportent tous une émotion forte ; nul doute que l'auteur ne tardera pas à gagner une place privilégiée sur mon podium. le Quatrième mur est d'ores-et-déjà dans ma bibliothèque… je vous en parle vite !
Lien : http://bazardelalitterature...
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Tyrone Meehan, cette figure légendaire de l'IRA a trahi.
Pendant les combats entre l'IRA et les Brits, il a échangé des renseignements sur ses compagnons d'armes, sur les projets d'attentats pour si peu d'argent mais pour sauver son image.
Tyrone est un vieillard fortement alcoolisé, mais il veut raconter son histoire, sa vérité sera dite. Il ne cherche pas d'excuses mais la vérité sera dite. Il retourne au nid, s'abriter dans la petite maison froide, humide de son père, il veut écrire sa vérité.
Les Brits l'ont abandonné, il ne leur est plus d'aucune utilité, les politiques de l'IRA, afin de préserver la trêve, le laisseront seuls avec ses souvenirs, ses remords, ses ennemis, mais il sait qu' »ils » viendront, un jour, brusquement pour l'abattre.
une énorme histoire d'homme broyé par un systéme.
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Jolie surprise avec ce roman , moi qui y allait un peu à reculons vu mes déceptions récentes ...
D'emblée on est happé par l'atmosphère particulière .
L'histoire est narrée par Tyrone Meehan devenu vieux et attendant ses assassins en "punition" de sa trahison, il veut raconter sa vérité.
l est difficile de comprendre ce combat quand on n'est pas plongé dans la sphère irlandaise; comment des hommes si proches ont pu s'entre-tuer, c'est le propre de tous les conflits ethniques, politiques ou religieux, mais celui-ci particulièrement par sa violence .
Ce que j'ai ressenti de façon viscérale à travers ces pages, c'est la souffrance d'un homme , il n'y a pas de vie en dehors du combat et le destin ou la fatalité s'abat sur lui inéluctablement sans qu'il puisse s'y opposer, c'est beau et tragique .
Mon seul regret: ne pas avoir lu le livre précèdent , Mon traître !

Lien : http://lejournaldelouloune.o..
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Encore un coup de coeur pour moi avec cet auteur. J'aime sa plume, j'aime son univers, j'aime voyager avec lui.

J'ai enchaîné les lectures de Mon traître et de Retour à Killybegs. Les deux romans sont complémentaires même s'ils peuvent se lire indépendamment.

Pour moi ce fut une plongée en Irlande du Nord. Une immersion totale dans la guerre qui oppose l'IRA et les loyalistes, qui oppose catholiques et protestants.
Un roman documenté qui m'a beaucoup remué tant par les histoires racontées, les destins détruits, que par la grande Histoire.

Un roman magnifique !
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Troisième roman de Sorj Chanlandon en quelques semaines. Je m'impatientais de le lire, ce roman ayant été recommandé par des amateurs de l'auteur. J'ai été déçu....très déçu....c'est nébuleux, long et les 50 dernières pages n'ont plus bcp d'intérêt.
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C'était hier, nous pouvions voir de brefs reportages à la télévision mais les médias ne se scandalisaient pas vraiment de ce qui se passait dans un pays si proche denous. Et personne ne blamait les Britaniques... Et je ne me souviens pas d'adultes s'inquiéter de tout ça
Une guerre civile, une guerre de trop, et des vies gâchées. Les enfants de l'IRA berçés depuis l'enfance dans cet idéal ne pouvaient que continuer à combattre, comme les enfants palestiniens ne peuvent pas connaitre la paix... Quelle bêtise humaine
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Les livres de Sorj Chalandon ont ceci d'épatant c'est qu'ils envisagent avec une écriture belle et simple des relations et des situations complexes et paradoxales avec un rythme qui prend le lecteur jusqu'au bout . Et ceci est vrai pour tous notamment pour celui-ci qui traite de l'IRA, de l'Angleterre, de l'engagement, du courage, des convictions
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Sorj Chalandon revient sur l'histoire de Tyrone Meehan, engagé dès son plus jeune âge dans les rangs de l'IRA et qui s'est révélé être un traitre dans le roman précédent ("Mon traitre").
Démasqué, il se terre à Killibegs. Epié par l'IRA, il semble se faire peu d'illusion sur le sort qui lui sera réservé. Mais avant cela, il veut dire la vérité. Oui, il a trahi, mais il est le seul à pouvoir dire pourquoi: "Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n'a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence.
Killybegs, le 24 décembre 2006".
Que de violence, de souffrance, de folie...J'aime cette Irlande forte et sauvage, mais la lecture de son histoire me laisse un peu comme ses combattants: épuisée, voire écoeurée par tant de haine.
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