Un merveilleux récit, dense, à l'écriture diablement efficace, qui vous transporte en Iran et évoque, sans jugement, des thématiques aussi variées que fondamentales : poids des traditions, richesse de la culture perse, minorité juive, imbrication des religions et des héritages, nomadisme, relations hommes-femmes... le tout emporté comme sur un tapis volant par l'histoire de personnages terriblement séduisants. Une lecture qui m'a ravie dans tous les sens du terme.
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Un texte magnifiquement écrit, divisé en quinze petits récits qui sont autant de petits bijoux sertis dans une réalité iranienne superbement décrite. Une écriture fluide et envoûtante qui emmène le lecteur en voyage dans une nouvelle aux allures de conte et aux personnages d'une densité particulièrement réussie.
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Une nouvelle merveilleusement écrite, des protagonistes émouvants et terriblement attachants, un récit qui vous tient du début à la fin. Quelle écriture ! Un moment iranien de toute beauté que j'ai adoré.
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Je me souviens avoir longé les rivages de Daryâ yê Khazar, la Mer des Khazars, et avoir remonté le cours de la Sefid-Rud, la Rivière Blanche, pour apercevoir les monts Alborz. C’est le pays du thé rouge. A Lahijan, dans une tchây-khaneh, une maison du thé, le vieil Ahmad prépare un breuvage opaque, dans une théière de cuivre, dilué ensuite dans l’eau brûlante du samovar. L’étranger que je suis est ignorant, il ne sait rien du thé rouge, rien des traditions millénaires du peuple Gilaki. Alors Ahmad lui enseigne : « Tu places le sucre entre tes dents et tu attends. Tu patientes, tu laisses faire le samovar. Il faut que ta vie prenne son temps comme le thé prend la vapeur. »
La porte ouverte laisse entrer avec le froid quelques notes jouées au santur, tandis que sur les murs, le farsi côtoie l'hébreu. Couvertes de plusieurs linceuls, la tombe d'Esther est à gauche, celle de Mordekhay à droite. Je songe à l'antique victoire de la lumière des dieux babyloniens, à leur archétype Ishtar et Mardouk, au rouleau d'Esther, au mal que l'on combattait alors par le mal, violence contre violence, vengeance contre coups, aux hébraïques réjouissances d'avoir enfin anéanti l'ennemi. Esther, première marrane, Esther la cachée, à l'identité équivoque, donnée à un idolâtre, Esther la séductrice exilée a souri aux massacres de Suse.
Quand j'ai quitté le mausolée pour rejoindre Fatemeh et Davoud sur la tombe du philosophe Avicenne, le ciel était soudain d'un bleu pur.
Fatemeh est photographe, Fatemeh est une femme, Fatemeh est iranienne. Elle est officiellement enseignante pour ne pas nuire à la carrière de haut-fonctionnaire de son père : Fatemeh la Pure ne dit pas qu’elle est aussi artiste. Trop inconvenant pour une femme de Lahijan. Elle expose clandestinement ses photos dans l’appartement de son frère. Fatemeh guette le monde, avec son vieil Olympus, elle épie l’univers des hommes, leur masculin désordre, leurs traces que les épouses, les mères ou les soeurs sont chargées d’effacer, leurs livres qu’elles liront à leur insu, leur pouvoir, leurs libres mouvements, mon sac d’étranger, mes objets, mes stylos, mes notes, mon sommeil.
Keyvân a les larmes aux yeux quand il me confie qu'Azita est « djendé », putain, mais j'ignore si ses larmes sont de dépit, de colère ou de honte.
Je suis revenu seul au parc Laleh, à la tombée de la nuit, espérant apercevoir Azita l'interdite. En vain. Sur le chemin du retour, j'ai fredonné une berceuse séfarade en Ladino, me demandant si le mot djendé existait au masculin.
- Parc Laleh / Comme le thé prend la vapeur -
A Linjan, à l'ouest d'Esfahan, dans l'antique cimetière juif déserté de Sarah Bat Asher où elle m'accompagne, Fatemeh lance ces paroles dans le vent sec, comme un cerf volant :
- Nos religions se confondent, regarde les guirlandes de fleurs sur cette ancienne tombe juive. Ce sont les mêmes entrelacs que ceux de la mosquée bleue de Tabriz.
J'ai répondu à Fatemeh que les cerfs-volants avaient aussi ces mêmes guirlandes. Tout est question de ciel.
- CERF-VOLANT - Comme le thé prend la vapeur