Rares et précieux sont les romans qui nous transportent par-delà nos croyances, notre réalité, notre quotidien. La Pythie de
Mélanie Chappuis en fait partie. Et si cette nouvelle année était l'occasion de se laisser embarquer pour un joli voyage exotique, sensuel et spirituel ?
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Vous est-il déjà arrivé d'avoir la sensation de vivre un rêve ou d'avoir une vision prémonitoires ? Tel est le sort d'Adèle, Pythie des temps modernes, à un moment bien précis : celui où, dans les bras de son amant, elle atteint l'extase ultime, cette « petite mort »... et entrevoit celle de son partenaire ! Don ou malédiction ? La vie de cette étudiante genevoise en psychologie bascule en effet le jour où elle atteint un orgasme dans une sorte de transe, baignée de lumière bleue : une vision s'impose alors à elle, celle de la mort de son amoureux, dans une ambulance. Et comble de l'horreur, celui-ci décède quelques jours plus tard après avoir été percuté par un véhicule. Hasard ? Prémonition ? D'abord anéantie, Adèle s'interroge sur ce qui lui est arrivé passant par toutes une palette de sentiments forts : culpabilité, haine de soi, colère, profonde tristesse… Elle va alors, au fil des années, explorer différentes voies afin de comprendre ce phénomène parallèlement à ses travaux de recherche, consacrés à « L'extase, une transe » où elle démontre que la jouissance peut entraîner des états modifiés de la conscience.
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Ainsi, Adèle commence par valider le fait que tous ses orgasmes la conduisent bien à cet état de transe qui lui font visualiser la mort de son partenaire. Comme c'est le cas, elle décide alors purement et simplement de ne plus avoir d'orgasme ! « Terminées, les petites morts annonçant la grande ». Et quel intérêt de vivre un plaisir suprême si, dans le même instant, on sait que ce bonheur n'est pas destiné à durer pour la vie ?
André Gide aurait dit qu' « Un beau moment ne peut être suivi que d'une belle éternité ». Aussi, entre un partenaire effrayé par sa prédiction ou un autre en furie, le sexe sans extase a pu sembler la solution !
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Quelques temps plus tard, nouvelle expérimentation pour Adèle, l'intimité partagée avec une femme. Et là, l'orgasme est atteint sans vision mortuaire ! Si Adèle s'en réjouit immédiatement, sa partenaire, informée des précédentes visions, en est à l'inverse extrêmement contrariée, pensant qu'Adèle lui cache quelque chose. Confrontée à ce nouvel échec, ajouté à sa stérilité révélée lorsqu'elle était adolescente, Adèle est prête à tout et expérimente une troisième voie, le commerce de ses visions. « Chez elle, pas de source, pas de vie, pas d'amour, seulement la mort, la luxure et l'odeur sale de l'argent ». Une voie qui se révèle particulièrement dangereuse pour son intégrité. Profondément meurtrie, dépourvue de perspectives, Adèle, devenue ethno-psychologue, réalise enfin une chose essentielle : si elle est bien parvenue à démontrer que l'extase pouvait conduire à la transe, rien n'explique scientifiquement que cette dernière lui fasse entrevoir de manière précise la mort de ses amants.
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Et si l'explication était ailleurs ? Guidée par son cher directeur de thèse, Adèle expérimente alors une autre voie, celle de l'hypnose qui, elle aussi, influe directement sur sa conscience lui donnant un aperçu de tout un monde intérieur qu'elle ignorait totalement. Et ce qu'Adèle cherchait depuis tant d'années la conduit finalement à ses propres origines. Car si elle est née en Suisse, sa grand-mère maternelle adorée, son abuela, venait du Chili, un pays clairement rejeté par sa mère, Marisa. Et c'est enfin auprès d'elle qu'elle obtient, des années après, un début de réponse à ses tourments. La mémoire traumatique recèle en effet des mystères insondables que la littérature explore, encore dernièrement dans le superbe livre de
Cathy Galliègue, «
Et boire ma vie jusqu'à l'oubli ». « La mémoire ne se donne qu'à ceux qui consentent à se souvenir » souligne
Mélanie Chappuis. Rien n'est moins vrai et c'est la dernière expérience à laquelle se livre Adèle en partant au Chili, à l'ombre des pehuven, sur les traces de ses ancêtres, les Mapuches. C'est dans ce pays qu'elle découvre enfin la raison pour laquelle la mort de ses amants s'invite dans ses transes. Dernière partie du livre, elle est aussi la plus exotique, un voyage spatio temporel aux allures surnaturelles enchanteur, où la véritable identité d'Adèle se révèle.
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Découverte avec son précédent opus, «
Ô vous, soeurs humaines »(Slatkine, 2017),
Mélanie Chappuis m'a à nouveau totalement séduite et même envoutée avec cette Pythie, son sixième roman, un livre riche, aux multiples facettes.
Figure des machis, qui sont aux Mapuches ce que les pythies étaient aux grecs, Adèle part en quête de ce qui la constitue, à commencer par son plaisir et sa maîtrise puis, plus fondamentalement, de son identité même.
Mélanie Chappuis s'attache à dessiner cette quête personnelle et essentielle d'une plume sensuelle et délicate, parfois érotique et poétique, magique ! Elle évoque avec talent dans ce roman la nécessité impérieuse de connaître nos origines pour nous construire et trouver notre équilibre et les désastres que peuvent causer les secrets de famille, les épisodes cachés pourtant imprimés dans nos mémoires. Elle évoque aussi, ce faisant, l'importance de ce que nous transmettons à nos enfants.
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La Pythie est donc l'histoire d'Adèle, et d'un cri. Un cri qui a traversé les siècles.
Et les océans.
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