Au milieu du dix neuvième siècle, dans un ancien couvent janséniste dont il ne subsistait plus que la chapelle, le peintre Rochegrosse installa son atelier, y brossant ses deux toiles principales "La mort
De César" et "La fin de Babylone". En 1895, comme il avait abandonné cet atelier, un "
Théâtre-salon" y fut ouvert. Dès l'année suivante, ce
théâtre devenait le "Grand-Guignol".
Oscar Méténier, son directeur avait trouvé une formule nouvelle qui allait être appelée à un succès considérable : celle des "spectacles coupés".
Elle consistait à réunir dans un même programme plusieurs pièces courtes, généralement en un acte, parfois en deux, et de caractère très différent.
Également appelé "
Théâtre de rire et d'épouvante", cette scène alternait les drames et les comédies.
Les drames étaient rapides, violents. le grand guignol fit parfois sa publicité en disant qu'une infirmière était dans la salle et, de fait, il arriva plus d'une fois qu'une spectatrice s'évanouit.
Quels prodiges d'ingéniosité n'a-t-on pas dépensés sur la petite scène de la rue Chaptal pour créer, avec des moyens pourtant minimes de mise en scène, les atmosphères les plus angoissantes et les plus hallucinantes. Drames de la folie, de la misère de l'alcoolisme, de la luxure, mystère de la mort, du spiritisme,tragédies dont le secret restera à jamais enseveli dans les sables du désert ou les glaces du pôle, agonie des sous-marins dans les profondeurs de l'océan, torture savante des bourreaux chinois, crimes crapuleux, scènes sanglantes de la révolution russe, catastrophes de chemin de fer...
Quelques titres sont restés dans les mémoires pour leur pittoresque ou pour les
souvenirs qu'ils évoquent : "Le système du professeur Plume et du docteur Goudron", "Gardiens de phare", "En plongée", "Le laboratoire des hallucinations", le château de la mort lente", "
le jardin des supplices" et "l'amant de la morte".
Depuis 1896, plus de 500 auteurs ont été représentés au "Grand-Guignol", qui pour certains sont de grands noms du
théâtre :
Octave Mirbeau,
Courteline,
Tristan Bernard,
Henri Duvernois,
Claude Farrère,
Gaston Leroux, et bien d'autres encore.
Pourtant au début des années 30, cette scène s'est efforcé, apportant une modification dans la nature des spectacles présentés, de donner des oeuvres en demi-teinte ou le rire fait place au sourire et à la finesse de l'observation psychologique.
C'est dans cet esprit que s'inscrivent les trois petits actes d'
Henriette Charasson que ce numéro de "
La Petite Illustration" réunit.
Il suffira de dire, ici, que "En chemin de fer", "Une robe de soie" et "Séparation" sont de petits bijoux d'observation et trois admirables leçons de philosophie.
"En chemin de fer" est la rencontre, dans un compartiment de train, de deux voyageurs qui ne s'étaient vus depuis vingt ans. Leur conversation provoque un malentendu sentimental...
"Séparation" nous présente, dans une mansarde, un vieux couple bourgeois réduit à la misère, mais dont les coeurs sont restés unis. le loyer impayé, les deux vieux époux devront se séparer et entrer chacun dans un asile différent...
Abandonnant le
théâtre d'épouvante qui fit sa fortune, la petite chapelle gothique de la rue Chaptal nous offre une suite de sketchs qui nous montrent l'homme et la femme aux prises avec la vie, l'amour, l'argent, les regrets et les
souvenirs.
Henriette Charasson s'y montre comme un auteur dramatique talentueux et inventif, nous offrant trois actes élégants et raffinés.