Tout commence par un départ, et, chevillé à l'âme, l'espoir d'un retour possible sur le sol natal anglais. Mais la traversée de l'Atlantique, terriblement éprouvante, passée dans d'interminables nausées, éloigne sûrement définitivement Honor des siens.
Toujours contée avec précision, douceur et limpidité,
Tracy Chevalier nous offre ici une magnifique page sur le déracinement, le contraste de modes de vie et de culture, la difficulté de trouver sa place dans cette Amérique où tout le monde semble fuir tout enracinement.
C'est donc avec la toute jeune Honor que l'auteure nous brinquebale sur les routes de boue desséchée et pleines d'ornières de l'Ohio. Comment peut-elle s'empêcher de comparer cet État en devenir à son cher Dorset si profondément établi depuis des siècles ?
Ici, même la forte densité des arbres l'effraie. C'est un pays où les hommes crachent à terre et où les habitations semblent fragiles, construites en bois à la va-vite, pour ne pas durer. Ce côté temporaire des choses la déstabilise, elle qui a terriblement besoin d'ancrage. Venant d'une communauté de quakers de Bridport, même les Réunions de culte sur ce nouveau continent ne lui apportent plus la plénitude de la méditation puisée dans le silence collectif.
Avec ses rencontres, ses observations, ses larmes, ses silences, ses moments de quiétude à tirer l'aiguille pour confectionner ses quilts, on va connaître doucement cette chère Honor.
J'ai savouré ses lettres qui mettent une éternité à arriver en Angleterre. Elles sont pleines de son quotidien, de la prépondérance du maïs dans toute sa nouvelle alimentation, de ses difficultés d'adaptation, des ses épreuves morales douloureuses dans ce pays qui la déconcerte. Et la plus éprouvante découverte pour elle sera celle de l'esclavage, de ces êtres fuyant vers le Canada et qu'elle ne peut ignorer.
Avec ses doigts habiles et précis, j'ai suivi avec passion toute la patience qu'elle déploie pour l'assemblage des différentes formes de tous ces bouts de tissus glanés à droite à gauche afin de confectionner de splendides patchworks.
Mais, plus intensément encore, ce sont les personnes qu'elles rencontrent dans cette nouvelle vie qui laissent une empreinte durable au fil de la lecture. Avec des caractères si propres à chacun, ils apportent aménité, rigidité, jalousie, franchise, amour et amitié et viendront bousculer l'attitude introvertie d'Honor. Elle gardera cependant sa constance, qualité qui parfois se confrontera aux préceptes des quakers.
À la mode américaine, callée dans un rocking-chair qu'Honor finit elle-même par adopter, cette lecture porte des notes paisibles que j'ai terriblement appréciées et que j'ai quittées avec regret.