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Laure Mistral (Traducteur)
EAN : 9782748905151
176 pages
Agone (05/05/2023)
3.79/5   7 notes
Résumé :
C'est avec ce court essai que Chomsky fait irruption, en 1967, sur la scène politique américaine comme principal critique de l'impérialisme américain. Décrit comme "la pièce la plus influente de la littérature anti-guerre" , ce texte pose les jalons de ce qui sera le combat de tout une vie et de toute une génération. Fondateur dans la pensée de l'auteur et cardinal pour toute analyse du statut d'intellectuel, cet essai reste d'une dérangeante actualité : celles et c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Datant de 1966, la conférence de Noam Chomsky, à l'origine du livre, s'attaque au potentiel de nuisance d'un bon nombre d'intellectuels américains proches du pouvoir. Chomsky constate en effet que ces diverses personnalités sont, le plus souvent, tristement solidaires des intérêts de la classe dirigeante qu'ils sont supposés conseiller. Incapables d'élargir les vues du politique, ils restent au contraire largement inféodés à ses petites logiques internes.

Se fondant sur des faits d'actualité, la conférence associe à la dénonciation de circonstance (en pleine guerre du Vietnam) un appel plus décontextualisé à ce que devrait être la responsabilité des intellectuels. Par intellectuels, Chomsky entend, des personnalités jouissant de "privilèges qui leur ouvrent des possibilités inaccessibles au commun des mortels", et qui en font malheureusement l'usage le plus étroit.

Le texte se concentre notamment sur les questions de politique étrangère, sur la motivation impérialiste de cette classe, sur ses ingérences problématiques dans les affaires du monde, et sur leurs relais dans l'information. En effet, c'est souvent par suite de "conseils avisés" que la classe dirigeante américaine fera de certains pans de l'Histoire mondiale des quasi-champs de ruines. Par ailleurs, auprès du public, on constate que ces personnes font moins souvent figure de passeurs du vrai, d'éclaireurs utiles, que de pures cautions intellectuelles des propagandes étatiques. À la soumission opportuniste au politique s'ajoute une tendance peu regardante à l'endoctrinement de la population. Une double et lourde faute, dont, à l'échelle des siècles, on n'a pas fini de quantifier les méfaits.

Le texte de Chomsky est ressorti pour le 50e anniversaire du texte, en 2017 dans sa version américaine. L'auteur encadre sa conférence éponyme publiée en 1967 par un avant-propos et une préface rédigés au moment de la réédition, et par une consistante partie 2, "User de ses privilèges pour défier l'Etat", qui prolonge la thématique centrale.

Pétri de lucidité critique, le texte de Noam Chomsky s'attache en particulier à décortiquer les discours officiels. Chomsky relève les hypocrisies, les mensonges avérés, mensonges qui n'hésitent pas à se fonder sur des clichés géopolitiques assez ahurissants. Il remarque qu'un nombre important d'intellectuels officiels pratiquent un art consommé de la lorgnette (tronquer l'information peut s'avérer très utile); de l'autojustification (morale, ou simplement pratique); ou de la résolution acrobatique de ses propres paradoxes.

Noam Chomsky pointe par exemple l'ingérence américaine lors du renversement du gouvernement démocratique (mais socialiste) de Salvador Allende au Chili, au profit du sympathique dictateur Pinochet, plus sensible aux intérêts de l'oncle Sam. Ce qui ne manque pas de piquant, venant d'un pays se présentant comme le chantre du monde libre.

Habiles en justification messianique, certains esprits n'hésitent pas à présenter les Etats-Unis comme le "traditionnel défenseur des droits et des faibles, des opprimés et seule puissance capable d'offrir aux pays "arriérés" le mode de développement approprié". La formule est éloquente à plus d'un titre: ouvertement méprisante, témoignant d'un patriotisme narcissique et mythomaniaque, elle vaut surtout son pesant d'hypocrisie.

Autre exemple encore: Chomsky constate que Ben Laden n'a pas été jugé, mais assassiné au sens strict (contrairement aux criminels nazis par exemple), semblant marquer un pas supplémentaire dans l'affirmation d'une politique internationale de non-droit. (Au passage, à titre de critique supplémentaire, Chomsky remarque que les Etats-Unis sont bel et bien tombés dans le "piège de Ben Laden". D'une part en considérant que la dette américaine a explosé depuis le 11 septembre, via la guerre en Irak, les coûts militaires exponentiels... Et aussi en tenant compte du chaos généré par les américains au Moyen-Orient, de l'islamisation radicale massive de la région, de la montée virulente de l'anti-américanisme... le calcul était déjà vicié à la base; le résultat est calamiteux.)

Outre les arguments moraux, un autre argument récurrent des discours impérialistes est que la classe dirigeante américaine pratique la "realpolitik". Les états-majors américains sont des pragmatiques, "adults in the room", garants de l'ordre sécuritaire mondial. Différence à faire, donc, avec les comportements hystériques, les traits d'humeur infantiles du camp d'en face.

Au crédit du livre, les analyses de Noam Chomsky sont particulièrement éclairantes lorsqu'elles dénoncent les postures accompagnant certaines bévues géopolitiques spectaculaires. Mais, un premier reproche à leur faire: elles frisent parfois une justification ontologique de l'anti-américanisme. Notamment lorsqu'elles s'attachent, en un abrupt saut de paragraphe, aux complexes racines de l'état américain. Chomsky rappelle ainsi que les premiers développements de l'Amérique sont le fruit du massacre des amérindiens, massacre qui aura été la matrice d'une politique résolument impérialiste et expansioniste. Par ailleurs, l'exploitation esclavagiste des populations noires est présenté comme indissociable des débuts de la révolution industrielle. "Le coton fut le carburant des débuts de la révolution industrielle", et le capitalisme des origines, tel que porté par les Etats-Unis, a les mains pleines de sang. le souci, c'est que ce type de parallèle pourrait amener à essentialiser, désocialiser, décontextualiser l'analyse. L'argument du "ce n'est pas nouveau" peut faire supposer une longue généalogie de tares proprement américaines. On sort alors d'une critique de personnes ciblées, ou même d'une critique systémique. Il y aurait donc, dans la nation américaine, quelque chose d'intrinsèquement malade? D'intrinsèquement mauvais? On voit vite les horreurs auxquelles mène ce raccourci.

On pourrait se dire que Chomsky, dans de tels paragraphes, ne vaut guère mieux que les fieffés impérialistes xénophobes et racistes qu'il pourfend. Mais on aurait tort de trop se le dire.

Chomsky ne porte manifestement pas son pays dans son coeur. Il est radical lorsqu'il affirme que: "Dire des Etats-Unis qu'il est un Etat terroriste n'a rien d'exagéré." Il a en tête l'intervention guerrière au Vietnam, et il ne prend pas le mot "terroriste" à la légère.

L'argument qui suit s'entend, mais son absolutisme oblige à des pincettes:

"Le fait que les intellectuels conformistes, qui soutiennent les visées officielles et ignorent ou rationalisent les crimes officiels, reçoivent honneurs et privilèges, tandis que les intellectuels guidés par les valeurs sont sanctionnés, apparaît comme un invariant dans l'histoire. On en retrouve la trace aux époques les plus anciennes: depuis le philosophe accusé de corrompre la jeunesse d'Athènes et condamné à boire la ciguë jusqu'aux intellectuels accusés dans les années 1960 d'intervenir dans "l'endoctrinement de la jeunesse"..."

A considérer qu'il n'est pas tautologique (on remercie qui nous fait plaisir: c'est platement humain), l'énoncé est schématique, réducteur, et on a envie de faire varier cet invariant. On fera une réserve directe sur la rigueur : utiliser des exemples à l'appui ne vaut pas comme preuve, juste comme illustration. La formulation, dans la bouche de ce fin linguiste, a sa part de rhétorique.

Mais, à texte critique doit répondre une lecture critique. Chomsky assène ses arguments mais pour ouvrir le débat. Libre à nous de consulter ses ouvrages théoriques, de nous familiariser davantage avec sa pensée.

Il ressort de ce livre qu'il en va de la responsabilité positive des intellectuels d'un refus de se laisser corrompre; d'un devoir de se faire le messager du vrai, y compris quand ce vrai concerne la révélation de sa propre responsabilité dans le désordre du monde — la vérité laide, le miroir sincère et cru, que l'on jugera trop facilement déformant.

Merci à Agone et à Masse Critique pour la découverte de ce texte important.
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Je remercie les Éditions Agone et Babelio pour l'envoi de ce livre

Essai en deux parties la première écrite en 1967 alors que la guerre du Vietnam fait rage, la seconde partie écrite en 2017 ce qui permet de compléter cet ouvrage avec les évènements plus récents.
Noam Chomsky interroge sur la responsabilité des intellectuels qui sont pour la plupart soumis au pouvoir politique alors qu'ils devraient dénoncer les mensonges. Il relate des faits historiques, de la guerre au Vietnam, les guerres menées par les Etat-Unis en Amérique Latine de 1960 à 1990, les conséquences du 11 septembre…
J'ai beaucoup appris dans ce petit essai, l'auteur comme à son habitude met en lumière les distorsions entre un discours gouvernementale et ses pratiques et les discours relayés par les intellectuels de l'époque qui se contentent de reprendre l'opinion public des officiels.

C'est dense, intelligent, ça questionne, ça donne à réfléchir, à analyser tout en étant facile à lire en sachant que les notes de l'auteur nous aide à recontextualiser les faits évoqués.

- « La responsabilité des intellectuels » l'expression renvoie-t-elle à la responsabilité morales des intellectuels en tant qu'honnêtes personnes capables d'user de leurs privilèges et de leur statut pour faire avancer la cause de la liberté, de la justice, de la compassion, de la paix et autres préoccupations sentimentales de ce genre ? Ou bien désigne-t-elle le rôle que les intellectuels sont tenus de jouer en servant – plutôt - qu'en critiquant – le pouvoir et l'ordre établi ?

- « À quoi bon dénoncer les crimes dont sont coupables les régimes totalitaires, si l'on est incapable d'investir la même énergie militante et la même rigueur intellectuelle à révéler ceux commis par les démocraties si habiles à draper dans la défense des droits de l'homme leurs interventions les moins honorables ? »
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Dans ce livre, Chomsky pose la question suivante : pourquoi les États-Unis ne comptent pas davantage d'intellectuels profonds, capables de s'élever au dessus des intérêts personnels et d'aborder les questions morales ?

Il analyse des faits historiques qui le mène à des constatations. de ces constats, il dégage une critique de ceux qui se félicitent pour les cadavres torturés et mutilés jonchants le sol de pays laissés exsangues par les grandes puissances mondiales. Il critique les intellectuels qui privilégiés se rangent du côté du pouvoir établi et sont " aux ordres " au détriment de vérités objectives. Il montre que, de fait, les véritables intellectuels sont la plupart du temps des dissidents. Aussi leurs positions les amènent souvent à être sanctionnés par le pouvoir en place. Malgré cela ils doivent continuer de délivrer des vérités pratiques pour déconstruire les idéologies dominantes en montrant un chemin de lutte efficace contre les préjugés, l'ignorance.

Texte argumenté du penseur et professeur émérite. Un bonheur de le lire dans la traduction de Laure Mistral. La question qu'il pose nourrit l'esprit. Les mots employés sont simples et la position est très claire, parfaitement compréhensible.
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Une lecture assez mitigée. Venant de voir le film Oppenheimer, la thématique de la responsabilités des intellectuels me semble passionnante. Je me plonge donc dans cet ouvrage pleine d'enthousiasme, et aïe, c'est très dense. Les événements cités sont mentionnés très brièvement et même avec les notes de bas de pages, mes connaissances de base ne me permettent pas de bien appréhender les contextes des situations décrites.
La dénonciation à travers ce discours a dû marquer l'histoire à son époque, mais aujourd'hui les conclusions me paraissent assez floues.
Un livre à attaquer avec de bonnes connaissances géopolitiques en tête !
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Le concept d'intellectuels au sens moderne du terme a émergé avec le "Manifeste des intellectuels", publié en 1898 par les dreyfusards qui, après "J'accuse" — la lettre ouverte d'Émile Zola au président français parue dans "L'Aurore" —, condamnaient à la fois la mise en accusation de l'officier d'artillerie français Alfred Dreyfus pour trahison et la dissimulation militaire qui s'était ensuivie. L'épisode évoque pour nous le combat d'intellectuels intègres et courageux qui, pour défendre la justice, ont osé affronter le pouvoir. Mais, à l'époque, ils n'étaient pas du tout perçus ainsi. Minoritaires dans les classes cultivées, les dreyfusards étaient vivement critiqués par le courant dominant de la classe intellectuelle, notamment, écrit Steven Lukes, parmi "Les Immortels de l'Académie française, farouchement antidreyfusards". Ainsi, pour le romancier, homme politique et champion des antidreyfusards Maurice Barrès, les dreyfusards n'étaient que des "anarchistes de l'estrade".
Qui étaient donc les intellectuels? La minorité inspirée par Zola? ou les académiciens? La question traverse les siècles, sous une forme ou une autre. Et elle offre aujourd'hui un cadre pour définir ce qu'est la "responsabilité des intellectuels".
L'expression est ambiguë: renvoie-t-elle à la responsabilité morale des intellectuels en tant qu'honnêtes personnes capables d'user de leurs privilèges et de leur statut pour faire avancer la cause de la liberté, de la justice, de la compassion, de la paix et autres préoccupations sentimentales de ce genre? Ou bien désigne-t-elle le rôle que les intellectuels sont tenus de jouer en servant — plutôt qu'en critiquant — le pouvoir et l'ordre établi?

Trad. Laure Mistral
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Bien sûr, l'impérialisme libéral n'atteint pas le degré d'agressivité de l'impérialisme nazi, même si la distinction peut sembler académique pour un paysan vietnamien qui se fait gazer ou brûler vif.
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Haïti connut ses premières élections libres... Les États-Unis entreprirent aussitôt de déstabiliser le nouveau gouvernement et, après le coup d'État militaire qui le renversa quelques mois plus tard, apportèrent un soutien de poids à une junte militaire impitoyable et à ses partisans des hautes sphères. En violation des sanctions internationales, les échanges commerciaux montèrent en flèche ; et ils augmentèrent encore sous Clinton, qui autorisa, au mépris de ses propres directives, la compagnie pétrolière Texaco à approvisionner les dirigeants assassins.
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Quand à la responsabilité des intellectuels, il n'y a pas grand chose à en dire au-delà de quelques vérités simples. La plupart des intellectuels sont des privilégiés - simple constatation sur l'emploi de ce mot. Le privilège donne des possibilités, et les possibilités confèrent des responsabilités. C'est alors que se pose la question des choix individuels.
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Le choix délibéré de ce nom n’est pas sans rappeler la facilité avec laquelle nous donnons à nos armes meurtrières le nom des victimes de nos crimes : Apache, Blackhawk, Cheyenne, etc. On réagirait sans doute différemment si la Luftwaffe appelait ses avions de combat « Juif » ou « Gitan ».
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