J'aborde toujours la lecture de ce type d'ouvrage avec beaucoup d'a priori et beaucoup d'espoir. Là, il y avait beaucoup à espérer car il s'agit, s'il faut en croire le texte d'introduction, du compte rendu des activités d'un colloque sur la notion de voile et de ses occurrences dans les arts contemporains qui s'est déroulé dans le cadre du laboratoire LLA-Creatis à l'université Toulouse II en mars 2012. L'ayant un peu feuilleté, avant de m'y plonger plus profondément, j'ai quand même un doute sur le coté "contemporain" (au sens strict, c'est-à-dire toutes les oeuvres produites après la seconde guerre mondiale) d'artistes comme
Gustave Moreau ou
Roger van der Weyden sans parler de cette fresque anonyme issue de Pompéi au 1er siècle après J.C., des dessins de
Paul Klee (mort le 29 juin 1940) ou encore des photographies pictorialistes.
Mon second mouvement a été de retrouver quelques uns de mes dadas et je me suis posé la question suivante : où se trouve l'index des noms propres ? Et puis celle-ci : comment se fait-il qu'un ouvrage aussi dense aussi pointu, issu de l'université dont une des fonctions est bien de transmettre un savoir n'offre pas un outil aussi pratique, utile, efficace qu'un index des noms propres ? J'ai perdu un temps fou à chercher, en vain, des textes qui traiteraient d'
Henri Cueco - aujourd'hui plus connu certainement pour ses Conversations avec mon jardinier adaptées au cinéma avec Daniel Auteil ou ses participations à des papous dans la tête, alors que pour moi c'est un des membres du groupe des mal-assis dont, durant mes deux premières années en tant que professeurs de dessin d'art, j'ai eu les oeuvres titanesques sous les yeux chaque fois que j'allais faire mes courses à centre commercial de la Villeneuve de Grenoble; de
Claude Viallat dont la forme en creux d'une maille répétée à l'infini sur des dimensions hors normes m'a toujours posé un problème de signification. Où se trouve l'article consacré aux sfumati "Léonardiens". S'il est une image voilée, s'il y a bien un effet de style remarquable dans l'histoire de l'art, c'est bien le passage du dessin par contour à l'atomisation du pigment en nuage impondérable qui fait apparaître l'image par des variations subtiles de la lumière. Avec un index des noms propres, il m'aurait fallu moins d'une minute pour trouver. Là, c'est arrivé un peu par hasard. Ceci dit, l'article est intéressant. On peut y lire par exemple :
"Bien avant la perspective aérienne de Léonard, les réflexions d'
Aristote sur l'épaisseur de l'air comme "écran visuel", ont pu être appliquées à la peinture de paysage dès la période classique de la peinture hellénistique."
Cette affirmation me ravit (chaque fois qu'on peut casser un peu l'arrogance de l'humanisme européen renaissant, je suis aux anges). Mais comme il ne reste pas la moindre trace matérielle de la peinture hellène de cette époque, je me demande bien comment on peut affirmer une chose pareille. de plus, il me semble bien qu'il y une sorte d'oxymore dans la phrase car "hellénistique" fait référence à la période de décadence artistique qui a suivi la période "classique". le comble, la justification se fait au travers d'exemples tirés de la peinture à fresque romaine qui ne sont ni du même lieu - ou vaguement, globalement dans l'espace méditerranéen - ni du même temps, presque trois siècle plus tard. C'est un peu comme si on citait en exemple le travail de Giotto pour expliquer le "caravagisme". Il existe quelquefois des raccourcis en histoire des arts qui me donne le vertige.
Plus loin, dans le même texte, on peut lire encore :
"Pour Léonard, le peintre doit dépasser la perspective objectivante du cerne et de la pyramide visuelle pour aller vers la part subjective de la vision des phénomènes lumineux ; le visible ne se laisse pas appréhender dans sa totalité et la peinture ne peut être qu'« imparfaite ». Dès lors, peindre indistinct consiste à renoncer à l'objectivité d'une lumière abstraite dessinant des contours nets, au profit de la lumière réelle des phénomènes déceptifs. Léonard fait de ce renoncement la préoccupation centrale de la peinture.
"
Ce qui apparaît comme un fait incontournable pour le praticien (celui qui pratique le dessin ou la peinture) et qui semble échapper à l'intellectuel (celui qui en parle ou essaye de lui trouver un sens dans l'univers abstrait des mots), c'est que Léonard n'a pas d'autre solution, s'il veut se débarrasser du contour qui est largement utilisé par la plupart des peintres de la première renaissance italienne mais qui n'existe pas dans la simple réalité (même perçue par le dernier des garçons vacher le plus inculte), que d'étudier la lumière point par point sur la surface du tableau. Presque à la gouttelette (étonnamment, mais faut-il s'en étonner vraiment ? Vermeer de Delft dont c'est l'une des techniques pour rendre les effets n'est pas cité dans l'article). A mon sens, il n'y rien de plus objectif que le travail de Léonard et rien de plus symbolique et, curieusement, de plus subjectif que la traduction de ce que l'on voit "réellement" (c'est là que le texte est particulièrement sournois car il affirme qu'il n'y a de réalité que perçue subjectivement) en un trait marquant la frontière entre l'objet dessinée et ce qui l'entoure.
Bon, évidement tous les textes ne donnent pas autant envie de polémiquer que celui-ci. Certains sont même simplement informatifs et très clairs. Sur le projet architectural de voile de béton de Jean Nouvel pour le Louvre d'Abu Dhabi ou le projet de l'aile consacré à l'art musulman dans le Louvre Parisien, par exemple. D'autres, en revanche, très ardus, demandent une attention vraiment soutenue, la maîtrise d'un vocabulaire de très haut niveau. L'utilisation fréquente de formules un peu stéréotypées comme on pouvait en lire dans Art Press durant les années 80/90 finit par agacer un peu. Pas vraiment le genre de lecture que l'on emporte sur la plage en été.
Je remercie Babelio pour cette opération masse critique et les presses universitaires du Mirail de m'avoir offert l'occasion de me plonger dans cet ouvrage d'une telle richesse et d'une telle profondeur que je n'ai pas pu l'explorer en totalité (pas en trente jours et pas à la veille des vacances) mais dans lequel je ne manquerai pas de revenir souvent.