Je fus d'abord emmailloté soigneusement. Comme l'on faisait des bébés à protéger des risques de velléités motrices aventureuses. On prétendait leur garantir de la sorte des "jambes bien droites" et l'accoutumance précoce à se tenir coi, malgré d'intempestives pulsions à vouloir être, plus qu'il ne convient, porté, caressé, cajolé. Jeanne était outrageusement vigilante à ce sujet : il fallait barrer la route aux primordiales tentations de la chair, séquelles tenaces de la faute originelle. Marig ar Rouz me rapporta bien plus tard, en catimini, qu'elle se fit chapitrer par sa fille puritaine, qui l'avait surprise, à l'heure de la toilette, à donner de gros bisous généreux sur les fesses toutes roses de son petit-fils chéri.
Nous, les élèves des écoles, nous étions plus que déraisonnables. Il y avait, entre nous, un furieux engouement à faire collections d'éclats d'obus de DCA, qui pleuvaient à foison sur les routes, les toits, les jardins, les champs. Dès l'alerte finie, et quelquefois bien avant, pour se procurer les plus belles pièces, les gamins se précipitaient afin de ratisser les zones d'impact. Les trophées les plus appréciés étaient les nez d'obus, avec les vestiges du dispositif de mise à feu, ainsi que les culots massifs, imposants et lourds. Nous procédions entre nous à des échanges âprement marchandés, comme s'il s'agissait des pièces précieuses de collections de timbres.