Au Fin Fond de Décembre est un polar noir, belge, savoureux et original qui saura ravir les amateurs du genre mais pas que.
Anvers, Belgique, décembre 1996. Après avoir purgé sa peine pour le meurtre de celui qu'il pensait être le tueur de sa fille, Theo, ancien inspecteur de police, se retrouve enfin à l'air libre. Après quelques mois d'errance, il décide d'accepter le job offert par un compagnon de prison. Mais lors de sa première mission en solo pour la société Rat-O-Kill, Theo tombe sur le cadavre d'une femme dans un studio de tournage de films porno à l'abandon. Faisant fi de tout bon sens moral, il se convainc de mener l'enquête mû par le plaisir égoïste de retrouver, l'histoire d'un instant, son ancien boulot et par là même un bout de son ancienne vie.
Et le moins que l'on puisse dire c'est que ce polar est brillant.
Pourtant au début, c'était pas gagné. Car l'archétype de l'ancien flic désabusé qui mène une vie pathétique à l'image des malfrats ou autres criminels qu'il pourchassait dans sa première vie, c'est du vu, revu, et ça n'a rien d'original. Mais l'auteur excelle et nous emmène, malgré un postulat de départ somme toute banal, assez loin dans l'immoralité pour nous tenir fermement sous sa coupe.
En un tour de main, il plante un décor délicieusement hivernal, dissémine de jolis personnages anti charismatiques et nous plonge dans l'enquête d'un Theo tout aussi pitoyable qu'attendrissant, en immersion profonde dans les bas-fonds anversois, au coeur de la misère sociale où tout n'est qu'apparences et faux-semblants.
L'enquête n'est finalement qu'un prétexte pour nous servir un plateau de personnages tous plus brisés les uns que les autres. À l'image de Theo devenu depuis la perte de sa fille, l'ombre de lui-même. Et ces personnages morcelés fascinent. Tous tentent de se reconstruire, chacun à leur manière. de survivre. Comment les blâmer pour cela ? Comment ne pas se sentir profondément touché par la déchéance de ces pauvres âmes peinturlurés qui sourient sciemment à leurs désillusions ?
Le roman parle de solitude, d'isolement, de rejet, d'humanité, de rêves, de vie, de mort. D'amitié. On prend un plaisir malsain à suivre ce Theo au comportement immoral, condamnable, dans son enquête morbide, parce que la curiosité ce vilain défaut, nous emmène là où nous n'irions probablement jamais, dans ces endroits interdits, capitonnés, miteux, qui empestent la cigarette, les effluves de parfums bon marché et l'alcool. Theo sombre doucereusement dans la folie alors qu'il se rapproche dangereusement des morts. Cette confusion entre rêves et réalité donne enfin un sens à sa vie et ce cadavre exquis lui apporte ce qu'il n'a plus : une source de réconfort, un regain d'espoir, un exutoire, une raison de vivre.
Et dans cette descente aux Enfers, dans ce gris morne, enfumé, froid et brumeux, dans ce monde impitoyable, hypocrite, où l'esseulé n'a pas sa place, l'auteur joue brillamment avec le macabre. Les références musicales et artistiques donnent un ton poétique à l'oeuvre pourtant dérangeante. On y voit un lyrisme doux et jubilatoire. Les dialogues sont aussi savoureux que les réparties de Theo sont juteuses.
Le roman est parfait, métronomique. C'est extrêmement bien écrit, peut-être même un peu trop, donnant du lisse et de l'harmonieux incritiquables. Et même si l'auteur heurte sympathiquement nos sensibilités, je crois bien que j'attendais qu'il franchisse la fameuse ligne rouge du politiquement correct pour aller encore plus loin dans la fantasmagorie.
Je vous recommande la série BD RIP chez @editionspetitapetit qui joue avec la vie, avec la mort, avec la crasse de façon remarquable et qui complètera à merveille ce récit.
*merci infiniment à @actessud et tout particulièrement à Pauline d'avoir accepté ma demande de service de presse.