Oh tudieu. Oh le bonhomme. le Roy Cohn.
Né en 1927. Mère moche et chiante, qui réussit sur le tard à se faire épouser par Mr Cohn, avocat modeste du Bronx, qu'elle pousse à devenir juge, à devenir quelqu'un. L'unique enfant nait, plutôt pas beau. Elle lui fait faire une opération du nez pour enlever une bosse disgracieuse, le chirurgien le rate, il en ressort, encore enfant, avec un nez épaté et une sérieuse cicatrice par-dessus. Et avec ça, elle le gave, faisant de lui un enfant petit gros, avec des yeux globuleux et son nez déformé, merci maman.
Maman vénère son Darling, elle le vénèrera jusqu'à sa mort. le papa s'occupe de son môme en l'emmenant assister à des procès, en parlant avec lui des affaires qu'il doit juger. le petit Roy, dix ans, est déjà doué pour trouver des arguments, des failles, des angles d'attaque. le modeste couple juif avec enfant quitte le Bronx pour Manhattan, il y avait de la revanche à prendre sur les wasp, sur la bonne société qui va devoir faire avec eux.
Teigneux, après son diplôme de droit, il se glisse en jeune assistant du sénateur
Mc Carthy, le pourfendeur du communisme en sa traque obsessionnelle. 1950, le gamin a 23 ans, il adore
Mc Carthy, il s'accroche à cette mission qui le réjouit. Quand les Rosenberg sont soupçonnés, Cohn chope le frangin d'Ethel Rosenberg et le menace de la chaise électrique s'il ne dénonce pas Ethel et son mari Julius. le menace si sérieusement que l'autre craque et signe tout ce qu'on veut. Il a la vie sauve. Julius est condamné à mort. Ethel, mère de deux enfants, a priori ne risque pas la mort, ça ne se fait pas, mais lors du procès, le jeune Roy s'acharne, menace, pointe du doigt, insulte, et plaide si bien son affaire qu'Ethel est elle aussi condamnée à mort. le jour de son exécution, Roy Cohn exulte. "C'était jouissif. Si j'avais pu appuyer moi-même sur le bouton, j'aurais adoré".
Sa première éclatante "victoire". le petit juif n'a pas eu peur de faire exécuter ces deux espions juifs aussi, lui il s'en fout, de la religion, et ne veut surtout pas être considéré comme un représentant de la communauté, au contraire, il fait tout pour afficher qu'il ne fait pas partie de cette engeance. Il fait aussi tout pour se faire détester, puis craindre. Il se veut tout puissant. Personne ne lui résistera.
On a tout dans cette liste dérangeante, son fameux credo qu'il pratiquera toute sa vie, et qu'il apprendra au grand blond un peu pataud qu'il s'est choisi comme élève, un certain
Donald Trump :
Nie - Floue - Mens - Nie - Mens - Tout s'achète, tout se vend. Les juges, les journalistes, les politiques, les syndicalistes, les mafieux, les hommes d'église, les filles - Si c'est illégal, fais-le quand même - Tu t'en fous de la loi, il suffit de savoir qui est le juge - Transgresse - Hurle - Brutalise - Mords - Sans pitié - Sans vergogne - sans honte. La peur électrise plus les hommes que l'espérance - Sois féroce - Bluffe - Intimide - Manipule - Mieux vaut salir qu'abattre - Ne t'excuse jamais - Celui qui lâche a perdu - Si tu dois reculer, crie victoire - Profite à fond de l'argent des autres - Paye le moins possible - Triche - Sers-toi - Fais-toi passer pour une victime - Ne respecte aucune limite, aucune pudeur - Toute attention, toute publicité est bonne à prendre, même négative - Gagne à tout prix, ou clame qu'une défaite flagrante est une victoire audacieuse - Ne reconnais jamais une défaite…
Voilà, tout est dit.
Il "fera" le jeune Trump roi de l'immobilier new yorkais, et s'il n'est plus là pour assister à son accession à la Maison Blanche, la progression de son fils adoptif ne l'aurait pas étonné plus que ça - avec un si bon prof… Trump applique à la lettre les conseils de son mentor. Parfois perdu dans une affaire ou une autre, il s'écrie alors "Where is my Roy Cohn ???" - ce qui donnera un film du même nom.
Autre détail : Roy Cohn mêne une vie de haut luxe et de patachon, s'entourant de grands Ricains jeunes blonds et musclés, en amants durables ou de passage. Il est fourré tous les soirs au Studio 54. Tout le monde sait qu'il est homo mais chut, ça n'existe pas. Avec son premier grand blond, Schine, l'amant, et
Mc Carthy, homosexuel aussi, ils font des virées, traquent un coco ou deux, disparaissent dans un palace à la montagne, dans un yacht en Floride, rentrent à New York en retard pour des procès que Roy remporte haut la main quand même. Il a pour client l'archevêque de New York, encore un homo, sans parler de Hoover qu'il adore… Et avec tout ça, il passe sa vie à accuser d'homosexualité tous ses adversaires, que ce soit vrai ou faux, ruinant leur vie, les humiliant en public, en poussant certains au suicide - et s'en réjouissant après. Pas de communistes et pas de dépravés, il faut nettoyer la chère société américaine, et il s'y emploie avec un malin plaisir.
Début des années 80, son jeune vieil amant (le 2ème ou 3ème grand blond durable de son tableau de chasse) est en train de mourir du sida, ce "cancer gay" méconnu qui fait peur et qu'on ne veut pas nommer. Roy Cohn, pas chochotte, devine que lui aussi est touché, et voyant le déclin de son vieux complice, peut admirer ce qui va advenir de lui. Quand Trump comprend que son mentor fidèle est touché par cette infernale maladie, tout en courage, il s'en éloigne et ne communique plus que rarement avec lui, via le téléphone. Enfin une trahison qui fera du mal à Cohn. Bien sûr, officiellement il est hétéro et a un maudit cancer du poumon, et il ne lâchera rien sur le sujet, même à l'agonie.
Mais quand les gays new-yorkais réclament les mêmes droits que les autres, notamment au niveau du logement, c'est un Roy Cohn déjà affaibli par la maladie qui le ronge, les poumons atrophiés et les jambes flageolantes, qui réendosse son costard de salaud et lutte sang et eau contre le gentil projet de loi que le maire s'apprête à signer. Il le harcèle tant et tant - aidé par l'archevêque son ami (de partouzes gay), que l'autre finit par abandonner. Roy Cohn a encore frappé, pas de dépravés à New York, non mais, pour qui ils se prennent, ces tarlouzes !
Pourri jusqu'à son dernier jour, le gaillard. On tremble en se mettant à la place de ses proies. C'est éprouvant. Comment être ramené à l'état d'impuissance totale, comme ça, parce qu'un roquet dont les dents sont enfoncées dans votre mollet, a décidé de vous mordre jusqu'à la mort si vous ne cédez pas…
On a parfois un peu de compassion pour lui, mais comme dit l'auteur, il faut se souvenir de tout le mal qu'il a répandu autour de lui, et l'arrogance de son auto-satisfaction…
Philippe Corbé a fini son livre en 2020, avant d'avoir les résultats des élections de novembre 2020 où Trump a été battu, allelluiah. Qu'aurait dit Roy Cohn de cette défaite, de l'invasion du Capitole, et de l'internet, ce nouveau jouet qu'il aurait adoré utiliser… C'est que Trump a bien pris le relai, et tudieu comme il a fait siennes les recommandations de son maestro ! Tiens, à croire que Putin aussi a été son élève, c'est assez étrange… Nier mentir terroriser briser, transgresser, tricher, fanfaronner, se servir, et mentir encore… Il y a du level dans la pourriture et Cohn est leur prophète !
Bah.
Le livre est bien écrit, les anecdotes rendues avec efficacité, pas trop de fioriture, pas besoin, le personnage se suffit largement à lui-même… La photo obsédante de Roy Cohn en couverture nous force la main. Ouf, le serial destroyer est mort, l'idée est réconfortante - même si ça fait bizarre d'avoir ce sentiment…