Espionnage et poésie, enfer et contre tout : voici un polar qui jongle avec les fausses pistes – d’ailleurs ça n’en est pas un –, c’est plutôt le roman de la sensation d’être paumé. Et contrairement à un polar classique, l’inspecteur est davantage dans le dénuement que dans le dénouement.
Lire la critique sur le site : Liberation
Le grand art de Marie Cosnay, c’est de rendre les ellipses sensibles, d’en faire des respirations cathartiques, de changer l’égarement des personnages en expérience quasi mystique. Dans ce récit littéralement fabuleux, des multinationales sentent passer l’ombre d’un héron.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Un thé au beurre salé, un lacet autour du cou, des baisers essoufflés, des papiers de Carambar, une femme comme un éléphant, deux jambes aux collants déchirés, un jupon rouge.
Il manque Traoré.
Zelda lui passe un coup de fil et tombe sur son répondeur.
Il fait bon, elle prend son air sérieux, celui qu’elle voudrait avoir spontanément, sans se forcer. Son air de flic.
La routine.
Laisser tomber l’homme au lacet du restaurant ouïgour.
Elle sourit aux anges ou aux corneilles.
Laisse tomber.
Elle a imprimé des documents, qu’elle lit dans le métro. Le séparatisme confisqué. Les véhicules des Ouïgours équipés de GPS par Pékin, si tu refuses, t’es pas clair. Les yuans offerts à qui offre des têtes, des noms. Les passeports confisqués. La même histoire et les mêmes questions : la répression alimente le terrorisme, ou le terrorisme la répression ? Que les femmes se dévoilent. Que les mosquées restent fermées. Deux cent Ouïgours rejoignent Al-Qaida. Puis l’EI.
Zelda a déjà vu des corps bleus, l’odeur ne l’impressionne pas, c’est l’odeur que prennent les morts. Type asiatique, trente-cinq / quarante ans, bleu, belle tête, douce, il lui a semblé, quand elle l’a trouvé sur le trottoir de Belleville, qu’il s’adressait à elle. Les morts tentent de s’adresser à nous, comme nous, de la mort où nous sommes, tentons de nous adresser à.
Aux vivants, hommes, bêtes et termites.
Le mort s’est adressé à elle.
Belle tête, un type séduisant.
À la morgue, le drap qu’on découvre. On ferme le tiroir, immédiatement on dirait qu’on fore en elle, au sommet du crâne, un trou. Dans le trou, on jette de la maladie à pinces et à crampons. Elle ne lutte pas. On allonge Zelda sur le sol froid de la morgue, elle fait un malaise.
Ne vous inquiétez pas, ne me regardez pas, ne me déplacez sous aucun prétexte.
Elle perd conscience, lévite, oiseau, dans les airs, sur la ville.
Le corps est allongé sur le côté. Boulevard de la Villette, une jeune femme – cheveux roux, incoiffables, c’est pas le vent qui est cause, il n’y a pas de vent, le mois d’hiver commence sous le soleil, il doit faire 18 degrés sur la place – regarde le corps ; elle a appelé ses collègues, a éloigné les passants, l’homme est allongé sur le côté, le cou a été garrotté, une main est à terre, caressant le pavé, l’autre tordue sous la hanche, que personne n’approche ni ne touche, la jeune flic fait ce qu’il faut, c’était son jour de repos, elle rejoignait la manif des prostituées chinoises, c’est un des premiers jours de soleil. Boulevard de la Villette, un homme est à terre. Étranglé.
J’aurais prévenu : il va se passer quelque chose de tragique à l’endroit où on ne s’y attend pas – pas sûr que le personnage Delalande ait su jusque-là nous émouvoir à force de traits tragiques, il n’y travaille pas en tout cas, il obéit aux ordres, son boulot est antirévolutionnaire mais c’est son boulot, un boulot c’est un boulot, un boulot 100 000 un boulot 100 000, ne dirait-on pas ici un début de penchant pour la fatalité où reconnaître une certaine tension dramatique ?
Un type vient d’entrer dans le bistrot, il demande à la ronde si quelqu’un connaît, ici, la définition de l’amour, lui la connaît mais ne dira rien, la définition de l’amour, dit-il, il faut la mériter.
avec Marie Cosnay, Agnès Desarthe, Lucie Taïeb, Geneviève Brisac.
Modération : Francesca Isidori.
Samedi 19 septembre 2020 / 16 h