Dans un article publié en 2015 chez Médiapart, « Ecrire »,
Marie Cosnay précise rapidement que le terme de « littérature exigeante » l'agace…
Force est de constater qu'on (oui, nous, le public… voir l'éther…) l'a classée dans ce « genre », à son
corps défendant…
Rien n'y fait, lire cet article jusqu'au bout est déjà « un exercice en soi » : même après 357 pages de sa première parution chez L'Ogre, son style reste assez déstabilisant. Il faut peut-être accepter de lâcher prise… On parlera alors de poésie…
Car pour ceux, férus de rhétorique, voulant synthétiser, l'auteure pourrait être élue championne de l'anacoluthe, figure de style au charmant nom évocateur, dont wiki nous en donne une définition pouvant habilement ouvrir le débat… Jugez plutôt :
Anacoluthe
« Une anacoluthe (ou anacoluthon) est une rupture dans la construction syntaxique d'une phrase. Il peut s'agir soit d'une maladresse involontaire de style, soit d'une figure de style utilisée délibérément pour prendre des libertés avec la logique et la syntaxe afin de sortir des constructions habituelles du discours écrit ou parlé. Toute anacoluthe, volontaire ou non, produit une perturbation de la compréhension immédiate.
En tant que faute de construction de la phrase, l'anacoluthe se caractérise par une rupture logique dans le propos, une ambiguïté involontaire sans bénéfice stylistique.
En tant qu'audace de style, l'anacoluthe peut se justifier par une formulation inattendue mais puissante. Ce procédé est alors surtout l'apanage de la poésie ou d'un ouvrage à prétention poétique s'autorisant des licences, c'est-à-dire des libertés dans la manière d'écrire ou de versifier. »
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On est bien du côté de « l'audace de style », renforçant le caractère ambitieux de cette refonte moderne du Roi Lear dans ce bel objet d'édition, dont je m'emparai dans les meilleures dispositions, prêt à pousser mon petit grain de sable en faveur d'une auteure contemporaine engagée au côté de ceux qui ont tout perdu, jusqu'à leurs racines, cantonnée jusqu'alors dans ces rayons « agaçants » de la littérature exigeante…
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Wiki poursuit : « L'anacoluthe était tout d'abord ― par le passé et encore souvent aujourd'hui — analysée comme une faute de raisonnement ou une erreur de grammaire. Son emploi comme figure de style est de ce fait délicat, la langue française étant assez pointilleuse quant « au non-respect de l'ordre syntaxique normal », si bien que se trouve parfois très ténue la frontière entre l'erreur de syntaxe involontaire, l'emploi volontaire mais maladroit de la rupture syntaxique et, enfin, le choix délibéré de l'anacoluthe comme figure de style pour un effet de sens communicable et une expressivité poétique accentuée, s'affranchissant victorieusement des règles communes ; peut-être pour les renouveler ; et en tout cas sûrement pour « [...] transforme[r] en beauté les faiblesses » par « l'alchimie poétique », selon le voeu d'
Aragon dans sa préface à son recueil «
Les Yeux d'Elsa ».
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Bon, je ricane déjà des implications dichotomiques sur les débats actuels, de l'inclusivité coincée dans la gorge des Immortels, du particulier et de l'universel… oui, tout ça… pas le choix…
Me voilà déjà dans le fossé, avec la Cadillac, alors qu'on n'a pas encore vraiment commencé…
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Nous avons donc cette histoire du Roi Lear transposée sous forme de roman policier, mais qu'il sera bien difficile de classer comme « polar » (laissons, si vous le voulez bien, cet autre débat, pour une future critique…). On y retrouve comme un air de roman-noir de
Serge Quadruppani, pour ce qui est du fond-terreau, couplé à cette forme particulière que l'on nomme poésie…
Diablement efficace quand il s'agît de décrire, de faire ressentir, ce qui est indescriptible, la Mort en premier (les scènes les plus saisissantes, comme la mort de Tom ou celle de Gabrielle), mais assez inopérante dès qu'il s'agit de suivre une intrigue… Pire lorsqu'elle donne l'impression joyeuse de s'affranchir gaiement du déroulé logique de l'histoire… Ellipses-poudre aux yeux sorties d'un grimoire…? Oui, je ricane…
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Certains personnages manquent cruellement de relief… ne parlons pas des lieux, dont les descriptions et la mise en place spatiale font penser à ces jeux vidéos d'aventure en deux dimensions (les « point & click » pour les connaisseurs…), rappelant peut-être par là son identité théâtrale, avec un chef-décorateur ne maitrisant pas la perspective…
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Le Bien et le Mal y sont grossiers, terriblement manichéens, jusqu'à donner envie d'employer le terme, auparavant détesté, de « gauchiste »… Pas la première, ni la dernière fois, que la Morale aura tout foutu par terre… Pas de souci, on devrait bientôt se retrouver au coin des honnis, en bonne compagnie, avec l'immense
Philippe Caubère… de ces gens qui en viennent, par nécessité et sans plaisir apparent, à s'appliquer la phrase de
Finkielkraut (ouille ouille), “C'est parce que je suis de gauche que je ne suis plus de gauche”.
Bon j'exagère peut-être à vous parler de tout cela…. pourtant impossible de passer à côté, en ces temps rapidement printaniers, avril et mai 2022 arrivant dès demain… (voir les débats chez les écolos… On coule…) Difficile d'éluder cet aspect du livre, de baver un peu sur le coin de la table.
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On pourra en tout cas remarquer une sorte de prophétie divinatoire (oui, oui, pythie, poésie…), avec la présence, au coin d'un feu, d'un gilet jaune, en 2015… « l'homme au gilet jaune » devenant, penchant du texte pour les métonymies, le « gilet jaune », pour redevenir, quelques chapitres plus loin, « l'homme portant un gilet jaune »… dommage de n'avoir pas continué… tant qu'à enlever des mots un peu partout dans les phrases… autant que cela fasse visionnaire…
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C'est dur, mais ça reflète ma déception… Se promettre de reprendre un peu plus que le résumé de la tragédie de
Shakespeare pour tenter d'y voir plus clair… Et de lire son roman suivant chez le même éditeur, « Epopée », tentative de ravaudage de mon outrecuidance à parler de rhéto à une prof de lettres classiques, qui a aussi traduit
Les Métamorphoses d'
Ovide !