La fin approche. le conflit est entré dans son paroxysme. Tous les protagonistes se préparent à l'assaut final. Qui va l'emporter ? Les Techniciens guidés entre autres par Alfred de Pergoal, revenu d'entre les morts et réfugiés dans les hautes montagnes ? Les tenants de la Loi, dirigés par le redoutable et détesté Virolles, qui n'hésite pas à user de la plus infâme torture ? Ou le champion des dieux, désigné par la Foi, Phébus, encore dépassé par les évènements et leur tournure ?
Les forces en présence sont assez équilibrées : chaque camp possède ses avantages et aucun ne veut lâcher. Abandonner signifie la mort et, pire encore, la disparition du monde tel qu'on l'imagine, tel qu'on l'espère. Au détriment d'un autre régi par une force honnie. Aussi les engagements sont-ils violents, meurtriers, terribles. Oui, mais tout cela va rester entre parenthèses les cent premières pages. Une fois encore
Sébastien Coville a su me déstabiliser. Car le début de Nulle âme ne désespère en vain (titre ô combien poétique, qui trouve sa raison d'être dans un des chapitres) ne se déroule pas au centre du conflit. Non. On est au calme. Dans un monde quasi désert. Avec Rackam Thorpe. Vous rappelez-vous cet explorateur qui avait traversé la séparation entre les mondes ? Il est toujours vivant, même si il se trouve plusieurs fois au bord de l'abandon. Il serait si facile de tout lâcher. Il est seul depuis si longtemps. Mais il a une volonté de fer. « C'était la première règle de la survie : l'action entraîne l'action, l'oisiveté entraîne la mort. » « La paresse rend peureux. » Alors il s'accroche et il poursuit ses découvertes. Et elles sont phénoménales et permettent de commencer à appréhender véritablement l'architecture imaginée par l'auteur. Je ne vais rien vous en révéler, car il est bon de tout découvrir pièce par pièce. Mais sachez que vous apprendrez l'essentiel. Et qu'à la fin du roman, tous les éléments seront tombés en place.
N'empêche que ce départ loin des humains (en tout cas ceux que nous avions découverts auparavant) m'a un peu perturbé et je me demandais bien quand nous retrouverions les guerres entamées entre Technique, Loi et Foi. Malgré cette réserve, je comprends tout à fait l'intérêt de cette première partie qui semble un peu hors sol. Elle explique le contexte et donne les clefs de compréhension vitales pour l'affrontement final. Car, maintenant, place à l'ultime conflit.
Les forces en présence ont fini de se tester, de se jauger. Il faut maintenant passer à la confrontation qui va décider de l'avenir de ce monde. Les alliances vont donc se mettre en place, tanguer, se consolider. Les convictions se font plus discrètes quand il s'agit d'obtenir le pouvoir. On sait oublier opportunément certains points jusqu'ici fondamentaux. Et trouver des points communs. Quand l'intérêt de la victoire se fait sentir, on s'allie malgré tout entre anciens ennemis. La balance penche de plus en plus en faveur d'un camp. Mais l'autre ne s'avoue pas vaincu. Et les trahisons et horreurs perpétrées sur le terrain ou en coulisses sont nombreuses, terribles. le monde de la guerre n'est pas un beau monde. Et
Sébastien Coville nous le décrit avec sa puissance habituelle, sa verve coutumière, ses envolées lyriques puissantes. Tout comme il nous décrit avec brio les tergiversations de certains, les hésitations d'autres. Les doutes volent d'un côté à l'autre, d'un partisan à un opposant. Au cours de ces trois-cents dernières pages, on est constamment, lecteurices que nous sommes, promenés d'un théâtre d'opération à un autre. On est au plus près de l'action, des raisons qui entraînent tel ou tel choix. Et jusqu'au bout, on hésite sur le devenir de ce monde. On tremble pour ses héroïnes et ses héros, car nombre d'entre elles et eux périssent. On espère que celles et ceux qu'on a choisis, finalement, vont parvenir à leurs fins. Et déjà à survivre.
La fin est grandiose, comme l'essentiel de la trilogie. Elle répond aux questions posées depuis le début. Elle tire tous les fils et les dénoue avec intelligence. Enfin, les dieux et les géants prennent leur place sur cet échiquier. Et de manière très convaincante, explosive même. Bon, je suis conquis, vous l'aurez compris. Même si je reste légèrement sur ma faim. Car les dernières pages, les dernières lignes sont formidablement ouvertes. On sent que la plume de l'auteur le démange : un nouveau cycle serait-il envisagé ? Pourquoi pas ? Moi, en tout cas, je ne m'y opposerais pas.
C'est l'année des fins de trilogies, décidément. Les Maitres enlumineurs de
Robert Jackson Bennett, Capitale du Sud de
Guillaume Chamanadjian. Et Mégapoles de
N.K. Jemisin (d'accord, c'est un diptyque, mais ça devait être une trilogie au départ). Et pour l'instant, je suis plutôt satisfait. Pas de grande déception, au contraire. Nulle âme ne désespère en vain termine en beauté un cycle que j'ai eu plaisir à suivre. Malgré quelques réserves quant à une grandiloquence parfois excessive (mais de moins en moins au fil de l'avancée de l'intrigue) et une certaine complexité de cette même intrigue (mais en étant un peu concentré, on s'en sort sans problème et sans avoir à faire des schémas). J'ai aimé certains personnages, au point que j'ai souffert avec eux quand ils ont été victimes de violence ; que j'ai reçu un uppercut quand il sont morts. J'ai aimé ce monde empli de passions au point qu'elles ne peuvent que se combattre, antagonistes. J'ai vécu, de l'intérieur, la chute de l'Empire. Et j'en ressentirai encore longtemps les soubresauts dans un coin de mon esprit.
La trilogie L'Empire s'effondre de
Sébastien Coville est composée de L'Empire s'effondre, de Toucher la peau du ciel et de Nulle âme ne désespère en vain.
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